lundi, novembre 27, 2006

Le fiasco iraquien coûte le congrès à Bush


L’élection de mi-mandat aux États-Unis a fait naître chez bon nombre d’observateurs de gauche et anti-impérialistes une certaine espérance. Celle-ci s’est concrétisée avec la démission dès le lendemain de l’acteur le plus symbolique de la politique étrangère impérialiste de l’administration Bush, l’inflexible ministre de la défense, Donald Rumsfeld. La victoire permettant au Parti démocrate de contrôler les deux chambres du congrès américain permet également de rêver à l’amoindrissement du pouvoir présidentiel de George W. Bush. Le pouvoir de la Chambre des représentants sur le budget, et celui du Sénat sur les diverses nominations, seront des obstacles de taille pour Bush et son équipe. Le président américain n’ayant plus la capacité de mener à bien les politiques extrémistes de son cabinet, tant en politique étrangère qu’en politique intérieure et en gouvernance, il est à croire qu’il se tiendra tranquille pour le reste de son mandat.

Pourtant, avant de se féliciter d’un quelconque virage à gauche de la société américaine, il faut prendre conscience des significations les plus tangibles de l’élection du 7 novembre dernier. Comment peut-on aborder la vie politique américaine, là où rien ne se passe comme ailleurs, avec ses élections réglées par la constitution, son bipartisme institutionnalisé depuis des générations, où en une soirée l’électeur doit se prononcer non seulement sur le mandat de plusieurs personnes, mais aussi sur des questions litigieuses amenées par référendum? Il est donc intéressant d’évaluer les espoirs, mais surtout les réserves, envers le retour en force des élus démocrates au pouvoir.

La fin du néo-conservatisme?
La défaite électorale des républicains est d’abord et avant tout attribuée à l’enlisement des troupes américaines en Irak. Il ne fait aucun doute, la majorité des électeurs, surtout les démocrates mais aussi les électeurs indépendants (non-affiliés avec les deux principaux partis) ont été motivé de voter contre Bush sur la question irakienne. Avec un bilan calamiteux en morts de toutes parts, de même que l’absence d’amélioration aux plans politique et social sur le terrain, la hausse vertigineuse des dépenses, une série de scandales (les actes de torture, les pratiques insensées menées par les militaires américains à la prison d’Abu Ghraib), l’absence de preuve sur la possession par l’Irak d’armes de destruction massive, le bilan était trop lourd à soutenir. Bon nombre d’électeurs républicains ont aussi contribué à sanctionner l’administration Bush, en votant contre ses représentants ou en s’abstenant de voter.

Une fois la punition infligée et le responsable désigné, Rumsfeld, « démissionné » de ses fonctions, comment le président Bush et sa garde rapprochée vont-ils désormais mener leur politique? Au mieux, pour les progressistes de tous les pays, ils vont devoir diriger avec la menace annoncée de devoir rendre des comptes dans les deux prochaines années, par le biais des commissions du Sénat et de la Chambre. Plusieurs élus démocrates et des républicains modérés souhaitent faire la lumière sur les circonstances entourant le déclenchement de la guerre en Irak. Mais on ne devrait pas nécessairement voir cela à très court terme. Les démocrates ont d’or et déjà annoncé qu’ils chercheront davantage à collaborer avec la Maison Blanche, afin de sortir le pays du bourbier de façon plus efficace. La question de la destitution du président (empeachement) ne sera pas sur la table. On peut tout de même penser à un retrait progressif de l’Iraq, mais vraiment pas pour demain.

Il est évident pour l’administration Bush qu’elle devra se départir de ses attitudes impérialistes les plus visibles, dans un contexte exigeant justement le contraire. Comment rendre un discours cohérent de sa part, après six ans de défiance envers tous ses adversaires, alors que les électeurs viennent de désavouer lourdement le néo-conservatisme? La poursuite des politiques suivant la logique de la « guerre contre le terrorisme » et « l’Axe du mal », avec en prime la montée des périls en Iran, au Liban, dans le Caucase et les pantalonnades de la Corée du Nord a demandé un investissement tel qu’on ne peut régler ces problématiques de façon cavalière.

D’une part, l’Irak est dans un état larvé de guerre civil (encouragé par les politiques de division ethniques et religieuses des Occupants et le clivage résistants vs collaborateurs). La plupart des Démocrates ne voient pas la solution dans un retrait unilatéral des troupes américaine et alliées, en laissant aller la lutte entre les factions et la chute probable du gouvernement, sans aucune forme d’intervention. Il faut admettre que la population n’a pas majoritairement demandé cette solution par son vote, elle a demandé une solution au bourbier, mais pas le repli dans le désordre. La psyché populaire n’a pas oublié le retrait précipité du Vietnam et ses boat-peoples.

D’autre part, la politique étrangère menée par Bush a rompu avec ses prédécesseurs par le néo-conservatisme, mais sa succession devra trouver une solution entre le bellicisme issu de cette vision du monde et le retour à la vision à laquelle nous étions habitués (sous Bush père et Clinton), soit le néolibéralisme multilatéral, qui privilégie le libre-marché et la création de richesse (air connu) pour instaurer la « démocratie ».
À court terme, nous ne devrions pas voir un changement brutal, mais plutôt progressif, l’estompement graduel des politiques néo-conservatrices des idéologues de l’équipe Bush. Six ans de gâchis ne peuvent disparaître aussi rapidement que nous le souhaitons. Et Bush voudra sauver la face en maintenant au moins l’apparence d’une certaine continuité.

Un virage à gauche? Non, juste un peu moins à droite…
Va-t-on voir une amélioration de la situation politique et sociale aux États-Unis, pour les milliers de travailleurs précaires, les mères monoparentales, les immigrants de tous les statuts, les minorités, etc.? Rien n’est moins certain. Il reste deux ans au mandat du président Bush, le président situé le plus à droite depuis des générations. Celui-ci peut court-circuiter tout le processus législatif, en dépit de la double majorité démocrate au Congrès, par son droit de veto prévu dans la constitution. Étant donné son caractère brouillon, on ne pourra être surpris d’une attitude belliqueuse de sa part. Aussi, on ne peut être certain du caractère progressiste de la représentation. Le Parti démocrate s’est assuré, pour sa victoire, de présenter bon nombre de candidat aux convictions les plus modérées (incluant des fondamentalistes chrétiens). C’est ainsi que l’expression de Noam Chomsky pour qualifier les partis américains, le « parti unique bicéphale » prend tout son sens.

La victoire du Parti démocrate est tributaire de la présence de candidats fortement modérés. Certes, la présence de la nouvelle présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, une personnalité nettement de gauche pour son parti (pour le droit à l’avortement et les droits des homosexuels notamment), a permis de ranimer l’optimisme et l’espoir chez les observateurs progressistes, mais elle cache le conservatisme économique de la grande majorité des représentants, quand il n’est pas également marqué au plan social. Des congressistes comme Tammy Duckworth (Illinois), Tim Mahoney (Floride), les nouveaux sénateurs Jim Webb (Virginie) et Bob Casey (Pennsylvanie) sont toutes des personnalités très modérées, issues dans certains cas du Parti républicain.

Le parti Démocrate doit également sa victoire à l’effondrement de la coalition républicaine marquée par le conservatisme religieux, qui a mené les politiques du pays depuis l’avènement des majorités républicaines il y a 12 ans. Les nombreux scandales à caractère sexuel et de corruption de la dernière année, touchant des personnalités proche du pouvoir, ont éloigné des urnes les voix fondamentalistes nécessaire à l’administration Bush. En fait, pour bon nombres de candidats, il suffisait de préciser qu’ils n’étaient pas eux-mêmes des fondamentalistes, en fait, moins à droite que leur adversaire…
Plusieurs républicains ont sauvé leur peau en prenant toute la distance qui était possible avec Bush et son gouvernement. Une manœuvre que le système présidentiel permet et qui est serait impensable dans le système politique canadien.

En somme, c’est l’invasion de l’Iraq, que Bush et les néoconservateurs voyaient comme leur plus grande réussite, qui a provoqué la marée bleue des démocrates. La victoire sénatoriale cruciale en Virginie, la plus serrée et celle qui a finalement réduit le contingent républicain à 49 contre toute attente, a été emportée par un ancien républicain qui se promenait d’une assemblée publique à l’autre en brandissant une paire de bottes appartenant à son fils, un militaire basé en Iraq. Tout un symbole!

PS: merci à Benoît Renaud pour sa contribution à ce texte.

jeudi, octobre 12, 2006

L'exemple britannique

La lutte contre l’immobilisme. Désormais, on retrouve le même mantra au Parti québécois. Lors de l’élection partielle du 14 août, en guise de discours victorieux, André Boisclair a asséné à son auditoire un laïus connu chez les libéraux, à savoir que « seule » une économie libérée de l’immobilisme peut amener la richesse pour tous. Les paroles ont probablement été cogitées par l’Institut économique de Montréal (IEDM), celui-ci ayant désormais l’un des siens pour conseiller le chef du PQ en économie, répondant au nom de Daniel Audet. Nul doute sur la construction de la plate-forme économique du Parti québécois : elle va ressembler étrangement à celle des deux autres partis libéraux. Si ce n’était de la question nationale, nous aurions vraisemblablement un parlementarisme bien anglo-saxon, à savoir un semblant de débat au sein d’un parti unique bicéphale ou encore tricéphale au Québec, avant la disparition annoncée de l’ADQ lors des prochaines élections.

Au Parti libéral du Québec, l’aile jeunesse a sonné la charge contre l’immobilisme lors de son dernier congrès, allant même d’une proposition des plus inquiétantes, une loi de la déréglementation généralisée. La « Charte des grands projets », ayant pour fin de contrecarrer toute forme d’opposition populaire aux promoteurs, a été la pièce maîtresse de ce congrès. Il ne faut pas s’étonner de l’agressivité militante des jeunes libéraux : les positions néo-libérales proviennent de la formation économique de ces jeunes patrons en devenir. Sous la houlette de Simon Bégin, l’élève studieux de Réjean Breton1, le sympathique prof freak anti-syndicaliste de l’Université Laval, les jeunes libéraux se sont mêmes démarqués par leur absence de pragmatisme politique. Ils sont allé jusqu’à créer une gêne chez leurs aînés, par cette charte et par d’autres positions passées, telle l’abolition de la clause Rand dans les lois du travail l’an dernier, de façon à ébranler de façon définitive les acquis des travailleurs syndiqués. Sans aucun doute, les jeunes libéraux connaissent leur évangile de la création de la richesse.

C’est ainsi que se mesure toute l’influence du thinks tank en politique active, lorsque l’IEDM arrive à voir ses positions défendues par les trois partis politiques représentés à l’Assemblée nationale. Nos pires craintes d’une destruction hâtive du tissu social, à la suite de la prise du pouvoir par le PLQ en 2003, ne se sont peut-être pas matérialisées, mais nous ne perdons rien pour attendre. Peu importe un second mandat du PLQ ou un premier mandat du PQ, l’exemple anglais nous rappelle l’éventuel établissement de ce qu’on pourrait appeler le néo-libéralisme « réel », le paradis des investisseurs établi enfin en Occident. Il a fallu un second mandat des conservateurs en Grande-Bretagne, dans des conditions favorisées par les médias et les conditions économiques de l’époque, pour y voir surgir une société désormais vouée à l’enrichissement des quelques plus riches au détriment de tous, pour le bien-être commun...
Un rappel est utile ici, afin de démontrer la dangerosité de laisser les thinks tank manipuler l’opinion comme l’IEDM le fait, par l’entremise des ses membres et anciens collaborateurs disséminés à travers la scène publique.

Le premier de ces instituts d’économistes néo-libéraux anglais a été l’Institute of Economic Affairs, fondé en 1955 à la suite du progrès des idées keynésiennes au sein de l’establishment britannique. Ses membres étaient issus de la Société du Mont-Pelerin, la création de Friedrich von Hayek. L’objectif premier de l’IEA a été la « destruction à tout jamais du socialisme » (selon l’expression d’un de ses fondateurs, Arthur Seldon) et de « ramener l’influence des syndicats et du travaillisme à une pluralité de façade »; il a fallu attendre au moins une vingtaine d’années à l’IEA afin de pouvoir mettre en pratique les idées prêchées dans le désert. Il faut souligner qu’outre le socialisme, les politiques économiques inspirées de la pensée de John Maynard Keynes et le consensus autour de l’interventionnisme sont concrètement les édifices à abattre. L’IEA, par un réseau d’influence au sein du Parti conservateur et dans les grands quotidiens, s’est employé à vulgariser la pensée d’Hayek et a pu obtenir, dès le début des années 70, une assise relativement acceptée dans le paysage politique. Cependant, le contexte économique n’était pas favorable à la contestation contre l’interventionnisme et, en dehors du milieu des affaires et de la droite, les idées néo-libérales n’ont pas eu beaucoup d’échos. Dans le milieu universitaire, les idées d’Hayek n’ont aucun appui, tant elles sont issues d’une conception erronée : l’Angleterre de « l’âge d’or » imaginée par Hayek, soit avant la légalisation des syndicats par le gouvernement en 1906, n’a aucun fondement historique.

Suite à la défaite électorale de 1974 devant les travaillistes, les conservateurs ont vu émerger de leurs rangs les partisans du néo-libéralisme, dans le contexte des premiers ratés du keynésianisme. C’était le début de la longue de période de stagnation économique qui perdure jusqu’à aujourd’hui. L’arrivée à l’avant-scène de Margaret Thatcher et de sa suite de politiciens néo-libéraux a permis également la constitution du Centre for political studies, créé en complémentarité avec l’IEA. Le CPS, mené directement par Thatcher et Keith Joseph, son mentor intellectuel, a permis d’articuler en termes politiques la pensée de l’IEA et a constitué la plate-forme économique du Parti conservateur. Il a bénéficié largement du relais médiatique, dans un contexte où les travaillistes ont eu de graves difficultés à diriger le pays soumis à la stagflation (stagnation plus inflation) et à des grèves répétées. Les solutions économiques du CPS, rapportées par les médias et le réseau d’influence affairiste et devenues ainsi « respectables », ont amené la petite bourgeoisie, la classe d’où proviennent les politiciens comme Thatcher, à renier le consensus keynésien de l’après-guerre au profit du néo-libéralisme. Cette classe sociale a permis le retour des conservateurs en 1979, devant la déroute travailliste devant les grèves, notamment celles des mineurs, et l’insatisfaction généralisée et encouragée par les médias privés.

À l’arrivée au pouvoir de Thatcher, aucun doute ne subsistait quant à la proximité des thinks tanks auprès de son gouvernement. Dans son premier mandat, les résultats du redressement économique a permis une certaine autosatisfaction, en dépit du caractère anti-démocratique des politiques anti-syndicales imaginées par le CPS et appliquées de façon intégrale. Il faudra attendre le second mandat, lorsque Thatcher a écarté la tendance conservatrice traditionnelle de son cabinet au profit de la tendance néo-libérale, pour voir de façon nette l’idéologie au pouvoir. Tous les conseillers du cabinet Thatcher étant issus de l’IEA et du CPS, l’appareil d’État n’a eu autre choix que de se plier aux politiques conçues parfois même directement au CPS. Au dire des membres de ce thinks tanks, les idées apparaissant les plus controversées la veille se retrouvaient discutées au cabinet du Premier ministre le lendemain et adoptées pratiquement tel quel. Un des collaborateurs les plus proches de Thatcher durant ces années, Alan Walters, provenait du CPS et était directement payé par celui-ci et par le British United Industrialists, le principal lobby patronal en Grande-Bretagne. À titre indicatif, c’est durant son second mandat que Margaret Thatcher a lancé son fameux mot d’ordre : « Il n’y a pas de société, il n’y a que des individus ». Cette petite phrase contient en elle toute l’orientation idéologique de la « Dame de fer » et de son équipe d’idéologues.

Le bilan des années Thatcher a été très lourd pour les humbles en Grande-Bretagne : privatisation tout azimut, larges coupures des services publics, soutien social amenuisé, appauvrissement des travailleurs et paupérisation galopante. L’origine du phénomène des « working poors » est britannique, où des milliers de travailleurs n’ont aucun espoir d’améliorer leur sort malgré le fait d’être salariés. Pourtant, le paradis du néo-libéralisme, malgré son inhumanité, a exporté ses recettes, par le biais des réseaux de thinks tanks disséminés en Occident. Anthony Fisher, un riche homme d’affaires convaincu des idées de Hayek, a personnellement mené à la création d’instituts semblables à travers les pays occidentaux et plus tard en Europe de l’Est, à travers l’International Centre for economic policy studies et l’Atlas Foundation. On lui doit notamment la création du Fraser Institute à Vancouver, et lui-même va générer « notre » IEDM. Partout, la recette dont on a fait pâtir les Britanniques est relayée par nombre de journalistes et de collaborateurs de ces instituts, afin de vendre l’inévitabilité de la « réforme » économique, dont l’origine provient de l’expérience des années Thatcher.

Nous voyons quotidiennement les prémisses de l’implantation idéologique du néo-libéralisme. Relayée autant par des columnistes comme Alain Dubuc, des chroniqueurs réguliers de l’IEDM comme Nathalie Elgraby (partisane de l’abolition du salaire minimum au Québec, afin de réduire le chômage2…), un président du CPQ et un ministre fédéral issu des rangs de l’IEDM (Michel Kelly-Gagnon et Maxime Bernier), un député indépendant démagogue et libertarien comme André Arthur, etc., la pensée de Hayek n’a plus beaucoup de temps à attendre son application politique visant à transformer le Québec en un autre paradis de l’investissement. Et à leur tour, les Québécois seront divisés en trois catégories, comme en Grande-Bretagne et ailleurs : la petite minorité des très riches, de laquelle les deux autres groupes majoritaires, les travailleurs précaires et les très pauvres, devront attendre la richesse créée, provenant du phénomène de l’écoulement décrit par les néo-libéraux, les miettes de tables en somme.

« L’idéal est un monde sans syndicat, où chacun se soumettrait aux coups de la main invisible du marché, acceptant un ordre naturel dans lequel les entrepreneurs jouiraient de la reconnaissance de tous. »-Friedrich von Hayek

1 Rappelons à nos mémoires les titres constituant l’œuvre de ce sinistre individu, Les monopoles syndicaux dans nos écoles et dans nos villes (1999) et Le National-Syndicalisme (2001), aux éditions Varia, de même que ses passages à TQS et CHOI-FM pour délirer sur le grand complot syndicalo-péquiste…
2 Nathalie Elgrably, Les effets pervers du salaire minimum, Le Journal de Montréal, p. 24, 03 mai 2006 (http://www.iedm.org/main/show_editorials_fr.php?editorials_id=399 )

lundi, juin 19, 2006

Business über Alles

Le ton se durcit à la Presse. La voix de son maître, Alain Dubuc, encouragée par son succès en librairie avec son Éloge de la richesse, a été plus loin que je pouvais l’imaginé chez ce columniste. Alors qu’il se défend bien d’être un néo-libéral, en condamnant dans son livre l’expérience vécue en Grande-Bretagne sous Margaret Thatcher, Dubuc écrit le contraire dans son éditorial du 10 juin. On découvre l’erreur de son éditeur, pourtant logé à la même enseigne (propriété de Gesca), lorsque le livre a été publié. Le titre aurait dû être Éloge des riches. Une erreur de l’éditeur, sans doute.

Le grand columniste a donc enfoncé le clou sur la gauche dans son ensemble, en la qualifiant de « racines de l’immobilisme ». C’est la grande mode chez les amis de la richesse et de ses créateurs de nommer ainsi ceux qui s’interrogent sur les projets de développement économique. « That’s progress » nous disent les créateurs, on n’a donc pas à être opposés, « ils » sont le progrès. La gauche, selon lui, obtient trop souvent l’attention des médias alors qu’elle n’a pas de représentation véritable dans la population. Les créateurs de richesse et ses partis politiques, de toute évidence, n’ont que des entrefilets dans les journaux, surtout dans les pages de la Presse…
Dubuc en rajoute avec son interrogation sur les bases de Québec Solidaire et les groupes sociaux. Pour lui, les « citoyens », la « démocratie » et le « projet » sous-entendus chez la gauche ne sont que des versions dépoussiérées des discours communistes d’Europe de l’Est. Lorsqu’il s’en prend au projet alternatif que le POPIR propose, en lieu et place du projet de condos de luxe dans le quartier Saint-Henri et la gentrification inévitable qu’il apporte à sa suite, c’est pour le dénigrer comme un projet de type soviétique, inhumain et voué à l’échec. L’opposition de la gauche serait pour lui du populisme, comme si la gauche représentée par Québec Solidaire a déjà formé le gouvernement dans le passé mais aurait oublié toute forme de pragmatisme. C’est faire un raccourci sur le type de campagne électorale dont nous a habitué le chef du Parti libéral, Jean Charest. D’ailleurs, il faudra s’attendre à entendre de la bouche de ce dernier les mot « immobilisme » et « immobiliste » à tous ses discours, lors du prochain scrutin. Que disait-on déjà, sur la voix de son maître?

Comme les autres meneurs de claques de la droite libérale, Dubuc fait abstraction de l’Histoire. La montée de l’industrialisation au XIXe siècle a amenée en parallèle celle de la revendication politique et sociale, au gré des bouleversements sans égards aux populations. Qualifier ainsi d’immobilisme la position de la gauche et des groupes sociaux, c’est nier la possibilité des dérapages des projets du milieu des affaires, comme si ce dernier ne pouvait errer ni créer une quelconque catastrophe sociale ou écologique. L’enlaidissement ou le saccage de nombreux milieux naturels, au nom du progrès, a été la plupart du temps la responsabilité de la classe des gens d’affaires. Il est d’ailleurs de bon ton de répliquer, par les portes-voix de cette classe, toutes les horreurs du développement économique effréné des régimes communistes d’autrefois. On peut toujours souligner à la suite que ces mêmes horreurs ont été possibles en l’absence d’une opposition organisée. Des militants qu’on aurait qualifié volontiers là-bas « d’immobilistes »…

Le paradigme auquel Dubuc s’est voué corps et âmes est celui de la fin de l’Histoire, tel décrit dans le livre du même nom, de Francis Fukuyama. Le grand journaliste qu’il est, avec ses ornières, tente de faire croire à la l’achèvement d’une civilisation supérieure consacrée aux affaires, en dépit de tout le reste. Rappelons que Fukuyama s’est fait rapidement démentir dans les années 90, avec la succession de conflits sanglants à travers le monde, notamment dans des secteurs en périphérie de l’Occident, tels l’Algérie et l’ex-Yougoslavie. La tentative mainte fois répétée de Dubuc de rappeler qu’il n’existerait qu’une voie unique à la création de la richesse, celle du néo-libéralisme, où les gens d’affaires sont les seuls tributaires, semble davantage à une forme de mantra. À force de le ressasser, espère-t-il, on finira bien à croire à ces prétentions. Comme si la richesse ne proviendrait des individus dont le seul souci est de s’enrichir au dépend des autres, tel Guy Laliberté, dont l’exploitation honteuse des artistes du cirque vaudrait bien un livre noir. Mieux encore, il faut rappeler comme l’a fait la collègue de Dubuc, Lysianne Gagnon, dans son étonnant éditorial du 3 juin, que ces individus ont avant tout profité des subventions publiques pour créer leur richesse. Sans consommateur, les créateurs ne sont rien, surtout quand ces consommateurs sont aussi les employés et les citoyens dont ont souhaite à la Presse l’assujettissement aux projets pharaoniques des mégalomanes de tout acabit. La richesse ne se calcule pas uniquement en dollar, il se calcule surtout par le bien être de chacun. Si un promoteur décide de construire une série de blocs de condos dans un secteur majoritairement habité par des locataires, ces derniers verront inévitablement leur loyer augmenter. Dans un contexte où les revenus des moins riches stagnent depuis plus de dix ans, on voit difficilement quel avantage ces gens vont obtenir de l’investissement de ce promoteur.

En somme, la charge de Dubuc contre la gauche est représentative de sa crainte d’une possible représentation de Québec Solidaire à l’Assemblée nationale. La représentation politique des militants sociaux, revendiquant un Québec autrement soumis à la volonté du milieu des affaires, voilà la bête noire des Desmarais et consort. La présence de la gauche sur la scène parlementaire est la dernière chose dont les maîtres de l’économie veulent voir. Ça expliquerait pourquoi la Presse s’emploie à démolir la montée de Québec Solidaire, même si ses rédacteurs raillent sur ses propositions et ses « incapacités » de pouvoir obtenir plus de dix pour cent de l’électorat.

mardi, juin 06, 2006

Michel Kelly-Gagnon et la « contestation professionnelle ».

Que le Conseil du Patronat du Québec (CPQ) s’en prenne aux mouvements sociaux, par le biais de son nouveau président, Michel Kelly-Gagnon, plusieurs d’entre nous n’ont fait aucune surprise. Ce dernier est moindrement connu, ses années à la tête de l’Institut économique de Montréal (IEDM) et sa chronique dans le journal Les Affaires ont fait de lui un des porte-paroles de l’économie triomphante et intransigeante. Pourtant, il n’a pas été nécessairement appuyé de tous ses pairs et son projet de lettre a été court-circuité par des membres du CPQ, lorsque cette lettre a été envoyé au journal La Presse. Kelly-Gagnon a dû refaire une version édulcorée de sa première attaque, le caractère hargneux envers les groupes communautaires qu’il avait exprimé précédemment lui a amené nombre de critiques virulentes, notamment dans les rangs de son Conseil. Le CPQ n’a pas l’habitude de la controverse, il est avant tout un lobby, avec une perception à peu près égale dans les médias avec les centrales syndicales. C’est pourquoi on a pu voir un certain malaise, dans les pages du quotidien de Power Corporation.

C’est pourtant dans ce même journal, par le biais de son principal éditorialiste, Alain Dubuc, qu’on avait poussé les hauts cris lorsque le projet conjoint du nouveau casino de Loto-Québec et du Cirque du Soleil a échoué, face à l’opposition des groupes communautaires. Dubuc a souligné à grand trait que l’échec d’un projet « d’envergure » comme celui-ci a été causé par « l’immobilisme suicidaire » encouragé par les mouvement sociaux. Son collègue Mario Roy a fait le portrait d’un milieu bénéficiant injustement de l’appui populaire, alors qu’on devrait les classer au mêmes titre que tous les autres lobbies, y compris (et surtout) les plus discrédités. La pièce manquante a toutefois été la position fracassante du président du CPQ, ce que La Presse n’a pas osé faire, soit de demander qu’on coupe toute subvention à ces groupes. Une fois la controverse éclatée et le passage sur les tribunes d’un Michel Kelly-Gagnon candide, venu débattre de la pertinence de son propos, Dubuc lui a ouvert les pages d’opinion et a appuyé sans réserve l’offensive contre les groupes sociaux, au nom de la croissance et de la création de richesse. Les « professionnels de la contestation » comme ils ont été qualifiés par Kelly-Gagnon et Dubuc n’ont pas leur place, et surtout, ils n’ont pas à être subventionnés par l’argent des contribuables.

La charge étant lancée, il nous est apparu opportun de faire le portrait d’un débat lourd de conséquences, dans la mesure où la position des groupes communautaires est assujettie à la volonté de l’État, dans un contexte nettement défavorable.

L’importance des mouvements sociaux
La perception des groupes communautaires du président du CPQ trahie son ignorance du milieu, ou bien il s’agit d’une mauvaise foi manifeste. Dans sa lettre du samedi 27 mai, dans la Presse, il parle d’eux comme étant des « organismes charitables », alors que le mouvement social avait pour but justement d’en finir avec la charité. Tout autre activité de leur part devient alors pour lui de la contestation improductive et surtout dommageable pour les projets d’envergure. Dans les jours qui ont suivi la charge de Kelly-Gagnon et Dubuc, on a vu les Guy Laliberté, Alain Simard et Gilbert Rozon se plaindre de « l’immobilisme », comme si eux-mêmes n’ont pas construits leurs empires du spectacle à coup de subventions même dans les périodes de crises, minant ainsi les possibilités d’aide à des groupes faisant davantage pour le bien-être des citoyens. En son for intérieur, Kelly-Gagnon doit percevoir l’utilité des groupes communautaires a la cueillette des denrées non périssables pour les plus démunis, sans plus. Pire, le mouvement communautaire est devenu non seulement un lieu subventionné rempli de gauchistes, mais aussi il vient troubler, comme tout autre mouvement collectiviste, la possibilité du marché de venir régler par lui-même les inégalités.

Les mouvements sociaux on fait davantage que de la contestation au Québec, il en va de soi. Il sont devenus depuis plus de trente ans les interlocuteurs immédiats auprès de l’État, au nom des citoyens de différents milieux, afin de formuler les demandes de la partie de la population la moins influente. On pourrait même avance que le milieu communautaire est devenue la fonction publique parallèle face à l’État, en développant une expertise incontournable. Action-gardien, mouvement social du secteur du sud-ouest de Montréal, a une longue expérience pour le soutien aux différents groupes sociaux d’entraides de ce milieu défavorisé. Loto-Québec prévoyait « améliorer » la situation de ce même secteur en implantant son casino et amener davantage de problèmes à très court terme. Outre Action-gardien, les intervenants de la sécurité publique et de la santé ont dressé sensiblement le même portrait négatif de la réalisation d’un tel projet. On ne peut même plus parler de « contestation », comme le prétendent les idéologues Dubuc et Kelly-Gagnon, mais bien d’un savoir-faire accumulé et indispensable, dans le contexte de la dégradation économique et sociale causée par l’offensive néo-libérale tout azimut.

En somme, les groupes communautaires viennent rappeler la fraude mille fois répétée du paradigme du développement économique sans entrave, à savoir que tous profitent de l’enrichissement de quelques individus. C’est plutôt l’inégalité érigée en système dont on parle, où la facture sociale de projets débridés est refilée à la communauté immédiate.

Le Conseil du Patronat du Québec
Loin de moi l’idée de faire un quelconque portrait élogieux de ce lobby, il faut tout de même souligner que le CPQ représente les intérêts de la majorités des conseils d’administration au Québec, mais on ne peut classer les membres de ce Conseil dans le même sac, avec les idéologues démagogues et obscurantistes que l’on aperçoit parfois dans les médias. Pour ces positions extrémistes, il existe d’autres tribunes. Le problème actuel du milieu patronal est qu’il est lui-même en train de se transformer, du moins il serait plausible de voir une lutte à l’interne, entre les tenant du dogme et les pragmatiques.
Dès sa création en 1963, le CPQ a comme objectif de faire contrepoids au mouvement syndical, en tentant de contrecarrer les acquis sociaux des luttes des années 60 et 70. Réalisant très tôt son incapacité d’endiguer le courant, le CPQ s’est orienté vers une position modérée, tel qu’observée dans le monde occidental, sous différentes dénominations. Les « Trente glorieuses » ont amené les homologues du CPQ dans le monde à conserver, au nom de la paix sociale et de la croissance, la croyance envers le possibilités offertes par ce qu’on pourrait appeler le « compromis keynésien » (pays anglo-saxons), ou encore le tripartisme patronat-État-syndicats (France, Allemagne), ou encore la social-démocratie réelle (pays scandidaves). L’effondrement du paradigme keynésien, réel ou provoquée (par le duo Thatcher-Reagan) à la fin des années 70 et au début des années 80 a ramené les lobbies patronaux à une radicalisation et un retour vers le capitalisme intégral et sans compromis, selon la vision des économistes néo-libéraux. Le tournant néo-libéral du CPQ s’est effectué vers 1985, mais on n’a pas pu observer jusqu’à maintenant une dérive du Conseil vers le désir de transformer le Québec copie de la Grande-Bretagne de Thatcher.

Bien sûr, dans ses orientations, le CPQ est un partisan du laissez-faire économique, la déréglementation et le désengagement de l’État, ainsi qu’une foules de positions aussi indéfendables. Cependant, comme association, il a lui aussi fait preuve du pragmatisme dont nous prenons un malin plaisir à dénoncer dans le monde syndical. La présence quasi-immuable de son ancien président, Ghislain Dufour, à la tête du CPQ pendant près de trente ans, a donné à ce lobby un caractère de modération. Sociologue de formation, peu porté au dogmatisme, Dufour a fait preuve d’un sens très certain du compromis, allant jusqu’à consulter les milieux syndicaux afin de proposer au gouvernement certaines demandes communes. Son successeur, Gilles Taillon, n’a pas été aussi apprécié à la tête du CPQ et n’a d’ailleurs pas tenté de faire sa marque plus longtemps.

La présidence du CPQ est le travail d’un communicateur. Il doit exprimer l’intérêt de ses membres et articuler une position de départ, dans un contexte de négociation perpétuelle où l’État et le gouvernement font l’arbitrage, dont les lois et leurs amendements en sont la réalisation concrète. De plus, le CPQ n’a pas grandit en vase clos, ses membres savent qu’ils doivent leur réussite à l’habileté de contenter le plus grand nombre que de foncer tête baissé contre les adversaires. L’importance de conserver son caractère d’interlocuteur privilégié de l’État a pris le pas sur l’orthodoxie. Les transformations au code du travail en 2003 par exemple, annoncées comme un virage dangereux et porteur de conflits, n’ont pas eu la portée escomptée par les néo-libéraux. Certes, en présence d’un gouvernement acquis en partie à la cause néo-libérale depuis trois ans, la situation sociale s’est aggravée mais pas aussi dramatiquement que nous le craignions au départ. La lutte soutenue des milieux syndicaux et sociaux, malgré les réserves que certains peuvent entretenir à leur égards, a permis de limiter les dégâts.

Dans ce contexte, l’arrivée d’un Michel Kelly-Gagnon à la tête du CPQ pourrait changer la donne. On ne sait pas encore les motifs de la nomination d’un individu pareil, porte-parole de la majorité des patrons du Québec. Chose certaine, on est loin d’un Ghislain Dufour, d’autant plus du caractère trouble de Kelly-Gagnon, mais aussi son incapacité à dialoguer avec quiconque. Encore un peu et on aurait eu le très subtil professeur Réjean Breton de l’université Laval à Québec, dont la santé mentale défaillante semble ne pas avoir été à ce jour relevée par aucun journaliste l’ayant approché.

L’IEDM et Michel Kelly-Gagnon, ou le think tank1 dans sa piètre réalité.
« Du passé, faisons table rase » aurait pu être le credo du nouveau président du CPQ. Avocat de formation et non un économiste comme il semble le prétendre dans ses chroniques, l’ancien président de l’Institut économique de Montréal représente bien l’idéologue néo-libéral dans toute sa splendeur. Rarement les gens de cette espèce ont une moindre considération envers les disciplines autre que l’économie, en particulier l’histoire. Comme nombre de ses semblables à la tête des think tanks du monde, leur vision du monde se forge selon une vision tronquée de la réalité, tant le paradigme économique oblitère toute pondération. Tant les gens de sciences humaines ne prétendent pas affirmer détenir la « vérité » mais des approches sensibles et vérifiées, un économiste de cette trempe prétend hors de tout doute avoir raison sur toute la ligne, sans se remettre en cause. Un de leur maître à penser, Friedrich von Hayek, faisait de son vivant la promotion d’une « Angleterre de l’âge d’or, d’avant les lois permettant l’existence légale des syndicats », même si cet âge d’or n’avait eu de réalité que dans sa propre imagination, tant il se plaisait à réécrire l’histoire, à l’exemple de ses semblables. Leur arrogance les pousse à se citer mutuellement, de façon à promouvoir leurs politiques en leur donnant une apparence de scientificité.

Il y a plus d’une façon de considérer l’arrivée de Kelly-Gagnon à la tête du CPQ. D’une part, le nouveau président a annoncé ses couleurs bien avant son intronisation. À la revue Commerce, comme le rapporte Michel Venne dans Le Devoir du 29 mai dernier, Kelly-Gagnon a affirmé que les patrons « devraient se montrer plus fermes à l'endroit des syndicats. », et qu’il se devait de «mettre plus d'importance sur les relations publiques». Il a également soutenu qu’il fallait suggérer au patronat de mettre de l’avant des suggestions «politiquement irréalistes», quitte à se «se faire expulser de la tribu». Cette attitude tranche avec celle de ses prédécesseurs. A-t-il oublié qu’il n’était plus à la tête de l’IEDM? En fait, il continue « l’œuvre » débutée en 1999 avec l’IEDM. On pourrait expliquer cette attitude par la volonté de Kelly-Gagnon de se servir du CPQ pour publiciser les travaux et les idées de l’IEDM, en leur donnant plus de vernis par son poste. Mais force est d’admettre qu’il s’y est pris de la pire façon. Le Québec, dans sa différence, ne privilégie pas l’affrontement et les ruptures fracassantes. Si le milieu patronal désirait vraiment enfoncer les projets de cette nature dans la gorge des citoyens, il l’aurait eu lieu bien avant. Les patrons ont peut-être plus de mémoire que les idéologues néo-libéraux, ceux-ci ont oublié que les luttes du passé avec les syndicats ont permis surtout à ces derniers d’avoir eu le dessus, dans le bilan des décennies passées.

D’autre part, l’IEDM jubilait de voir deux de ses illustres membres accéder à des postes prestigieux en un court laps de temps, l’autre étant le nouveau ministre conservateur de l’industrie et du commerce, Maxime Bernier, Il faut toutefois considérer leur accession comme étant la logique de la matrice qu’est le think tank. Celui-ci n’est souvent que le tremplin de quelques individus vers le prestige personnel, en dépit des habiletés douteuses de ces mêmes personnes. Le ministre Bernier a réussi, dès son entrée au cabinet, de se mettre le pied dans la bouche en soutenant qu’il fallait mettre un terme à toute subvention aux entreprises et ne privilégier que la logique du marché. Son dogmatisme en a heurté plus d’un parmi ses collègues. Il a également réussi à déplaire aux libertariens, notamment son ami Martin Masse, du webzine le Québécois libre (quebecoislibre.org), lequel lui reprochait déjà ses « compromis idéologiques » dans une entrevue au Point à Radio-Canada. On peut facilement faire le parallèle avec Kelly-Gagnon, dont les nombreuses chroniques parues dans Les Affaires et dont les meilleures ont été compilés dans un recueil paru aux éditions Saint-Martin, Chroniques économique : des idées pour démystifier les politiques publiques, démontrent davantage la limite de la culture et le dogmatisme abêtissant de son auteur. Des idéologues, certes, mais surtout des personnalités avides de prestige personnel, auprès des personnages constituant l’élite économique. Et surtout peu scrupuleux pour obtenir leur place parmi eux.

L’IEDM a réussi à placer en peu de temps ses pions, en espérant de bénéficier du retour d’ascenseur et également du prestige attendu. On ne peut négliger les intervention d’un think tank, surtout son association évidente avec le lobby patronal le plus influent. Mais la plupart des chercheurs ayant étudié sur ces thinks thank s’accordent pour dire qu’ils n’auront jamais une influence très grande dans les débats. Le précédent britannique de l’époque Thatcher a fait croire pendant un temps à la voie royale aux néo-libéraux à exercer un pouvoir sur les gouvernements leur étant favorables. La proximité de trois thinks tanks avec Thatcher et la faction néo-libérale du Parti conservateur britannique a permis la réalisation des fantasmes des plus fanatiques du dogme libéral, mais cette exception constitue la somme de facteurs autrement impossibles à réaliser que par la force des institutions économiques supranationales, comme le FMI et la Banque Mondiale, avec les programmes d’ajustements structurels si funestes envers les populations concernées. Lorsqu’on regarde de plus près la piètre qualité de leur recherches, notamment celles de l’IEDM, leur incapacité de dialoguer autrement que par l’économie, de leur volonté d’imposer un paradigme sous lequel on devrait sacrifier tant de ressources à l’autel de la « vérité révélée », les collaborateurs des think tanks apparaissent comme ils doivent l’être, des extrémistes et des fanatiques, tout juste bon à classer avec les ayatollahs idéologiques de ce monde. La tentative de museler le mouvement social est une tactique pour obtenir la seule opinion qui comptent dans les débats, nul doute qu’il en aura d’autres de leur part, à défaut de pouvoir apprécier cette offensive assez maladroite.

Jamais nous devons sous-estimer la capacité de l’IEDM et de ses semblables à influencer le débat, même si leur donner de l’importance leur est avantageux en tout temps. Mais dévoiler de façon constante le fanatisme sous-jacent à leurs idées est un automatisme que nous devons acquérir, au même titre que la haine que nous vouons au racisme.


1 J’utilise le terme think tank selon cette définition, celle d’un institut « indépendant » de recherche en politique, en lui appliquant le fait que les plus nombreux se réclament du néo-libéralisme, comme le Fraser Institue et le C. D. Howe Institute au Canada, l’Heritage Foundation et le Cato Institute au Etats-Unis, etc. Ils ont tous un beau site en couleur sur Internet, même l’IEDM.

lundi, mai 22, 2006

Le dur réveil de Michel Kelly-Gagnon


Les événements nous dépassent, ou encore nous amènent à accélérer certains de nos projets ou idées que l’ont souhaitent concrétiser. La rédaction de ce blog ne fait pas exception, la sortie avortée de Michel Kelly-Gagnon la semaine dernière m’a amené rapidement à écrire sur lui, en tant que nouveau président du Conseil du Patronat du Québec (CPQ). Ou encore, le représentant officiel des créateurs auto-proclamés des richesses de notre pays. J’avais l’intention d’écrire sur son arrivée à la tête du CPQ, car j’ai une très bonne idée de ses projets.

Personne ne sera surpris des positions de ce lobby. Du temps du prédécesseur de M. Kelly-Gagnon, M. Gilles Taillon, le type dont le programme agressivement anti-syndical du Parti libéral du Québec était comme « de la musique à ses oreilles », le CPQ s’était donné comme programme une liste d’objectifs, connus de longue date comme étant issus de la pensée néo-libéral. Un coup d’œil sur le programme à l’adresse suivante http://www.cpq.qc.ca/files/PDF/Memoires/0409-PLATEFORME04-06.pdf en dit long sur ses accointances avec l’idéologie en question. Une application intégrale de cette liste d’objectifs transformerait radicalement le Québec, mais je ne suis pas certain que les membres du CPQ tiennent tant à accélérer la marche vers le capitalisme intégral. Je ne suis pas non plus convaincu de la présence en grand nombre de révolutionnaires conservateurs parmi les patrons, bavant d’envie de faire du Québec une autre république thatchérienne. Dès sa création, au début des années 70, le CPQ a défendu grosso-modo les mêmes positions, de la même façon que le peuvent les représentants des centrales syndicales pour les leurs. La différence est qu’aujourd’hui l’actuel premier ministre ne renvoie pas les appels aussi rapidement au syndicalistes qu’aux représentants patronaux, il en va de soi. Le CPQ essaie d’influencer le gouvernement, comme tout groupe organisé, mais jamais il a dénigré le droit d’en faire autant de la part de ses adversaires idéologiques. Il a pourtant bien failli le faire, cette semaine, grâce à son président.

Je résume en quelques mots l’événement révélateur de la pensée profonde du nouveau président du CPQ, tel que rapporté dans la Presse de jeudi le 18 mai. On rapportait que M. Kelly-Gagnon devait envoyer une lettre ouverte aux quotidiens du Québec, mais il devait d’abord tâter le terrain auprès de ses membres, afin de sonder leur opinion. Certains d’entre eux ont été dérangés par le ton très agressif envers les groupes communautaires qu’utilisait leur président. Ce dernier, dans sa lettre, suggère que les groupes ne sont que des « professionnels de la contestation » et, à mots couverts, devraient être réduits au silence en leur coupant les subventions dont ils bénéficient. Il leur reprochait surtout l’abandon du projet du Casino dans Point-St-Charles, de même que le frein à tout projet « créateurs de richesse ». Voici ce qu’il apportait précisément dans sa lettre, selon La Presse :
-Comment a-t-on pu en arriver là? Parce que des professionnels de la contestation réussissent souvent à se faire payer par l'État, pour dire à l'État quoi faire. En 2004-2005, le gouvernement du Québec a octroyé plus de 631 millions à quelque 5000 organismes d'action communautaire, par l'entremise de 75 programmes ou mesures d'aide financière. En moins d'une décennie, le montant des octrois accordés aux groupes communautaires a augmenté de 155 % (…) Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les pouvoirs publics soient pratiquement incapables de prendre des décisions économiques sensées quand elles ont le malheur de heurter les préjugés des professionnels de la contestation. Force est de constater que leur influence politique est excessive et qu'ils ont un effet paralysant sur le développement économique de la province. Ils nuisent carrément à la prospérité générale. On ne peut plus tolérer cette situation, au risque de voir l'économie du Québec tomber dans le marasme.

Nul doute que ce type de position ne pouvait faire l’unanimité au sein du CPQ. Pour être franc, on ne peut condamner ce lobby comme un refuge d’idéologues néo-libéraux, les prises de positions passées du CPQ ne sont certainement pas des plus intéressantes, mais n’ont pas été non plus dictées dans esprit exempt de toute flexibilité. Des membre de ce lobby on tellement peu apprécié la lettre qu’ils l’ont fait parvenir aux journalistes, en dénonçant cette prise de position. C’est pourquoi le repli du président Kelly-Gagnon ne m’apparaît pas si étonnant. En fait, il s’est fait rappeler par ses membres qu’il n’était plus à la tête de l’Institut économique de Montréal (IEDM), le think tank québécois du néo-libéralisme.

De ce temps où tout lui était permis de dire et écrire, M. Kelly-Gagnon s’en était pris à plusieurs reprises contre les groupes communautaires, avec le même ton. Dans un texte paru dans le journal Les Affaires le 24 janvier 2004 (http://www.iedm.org/main/show_editorials_fr.php?editorials_id=24) il reprend la même rhétorique contre les groupes anti-tabac. Dans le même journal, le 14 septembre 2002 (http://www.iedm.org/main/show_editorials_fr.php?editorials_id=54), dans une intervention des plus édifiantes sur la pensée magique où seul le marché règle tout, il va jusqu’à écrire que « Les employés des groupes de pression n’ont jamais intérêt à dire que les choses s’améliorent dans leur domaine. De même, les employés des ministères qui traitent de ces questions et qui financent ces groupes augmentent leur budget, et par conséquent, leur influence, en créant de nouveaux plans stratégiques et autres interventions structurantes». Par la même occasion, il prétendait que l’IEDM a une position indépendante et avait davantage de crédibilité que tous ces groupes, avides de subventions. C’est assez réducteur comme jugement, mais logique avec le néo-libéralisme. De façon générale, M. Kelly-Gagnon et son Institut réfutent à l’État de pourvoir aux besoins à tout groupe de pression, car les néo-libéraux considèrent que la liberté de parole ne signifie pas qu’on la subventionne. C’est un vieux débat, que les autres instituts-frères de l’IEDM ressassent depuis des lunes.

Le réveil a sans doute été dur pour M. Kelly-Gagnon, mais pourtant il n’a pas été la seule personnalité très visible à adopter la même position et avec le même ton. J’ai rapporté dans ce même blog en avril comment l’éditorialiste Alain Dubuc, la voix de Gesca et Power Corporation, avait qualifié l’activité des groupes communautaires « d’immobilisme suicidaire ». Dans la Presse, deux semaines plus tard, Mario Roy a produit deux textes de la même mouture, où il tente de démontrer pompeusement qu’il fallait considérer les groupes de pressions à égalité, les groupes communautaires comme les « créateurs de richesse » les moins scrupuleux. Une recherche rapide devrait nous permettre de retrouver davantage de tirades de même nature contre les groupes communautaires, de la part des éditorialiste et des chroniqueurs économiques, notamment les très subtils Claude Piché et Lysianne Gagnon. Pourtant, c’est dans La Presse qu’a été rapporté la dérape de Michel Kelly-Gagnon. Peut-être qu’au sein des salles de presse de la grande concentration privée, la position néo-libérale n’est plus aussi bien accueillie. Dans la chronique Des Oh! et des Bah! du dimanche suivant (21 mai), Michel Kelly-Gagnon et le CPQ ont été classé dans la vignette « En baisse ». On peut toujours rêver.

On ne va pas s’ennuyer, avec le nouvel ayatollah du capitalisme à la tête du CPQ. Les patrons membre du lobby non plus, à leur grand désarroi.

mercredi, mai 03, 2006

L'Histoire selon les Libéraux


Suite à la nouvelle concernant les échos très inquiétants en provenance du Ministère de l'Éducation, à propos du projet d'enseignement de l'Histoire du Québec "revisé" et surtout expurgé de toute notion à caractère politique, j'allait en faire le sujet de mon texte. Au moment de me mettre à la tâche, j'ai reçu ce courriel de Rico, mon camarade de notre syndicat, maintenant sous un autre ciel avec sa copine Julie, en Outaouais. Il m'a tout simplement écrit ce que je n'aurais pas pu faire avec autant de brio. Impressionné, je lui ai demandé de reprendre son courriel pour mon blog. Voici ce qu'il m'a envoyé.


Salut Alain,

J'ai lu un article ce matin sur la volonté du gouvernement Charest de réviser les cours d'histoire et d'évacuer les éléments moins glorieux, ou moins unifiants... Julie et moi étions furax. J'ai par la suite écouté une entrevue avec Fournier (ministre de l'éducation), très habile celui-là, il nous glisse toujours entre les doigts. Il affirme que ce n'était pas l'intention du gouvernement, mais bien un papier de travail, dont il n'avait pas encore eu connaissance, donc, sur lequel il ne se prononcera pas sur la validité... Bref, il nous dit que ( bla!, bla!, bla! ) il y aura davantage d'heures de cours, plus de contenu, et que le conflit social ne sera pas évacué. J'ESPÈRE bien!

Non mais, je crois que c'est comme bien des projets libéraux. Il m'apparaît que parfois ces fuites sont presque intentionnelles. Comme s'ils voulaient tester l'opinion publique ; si ça grogne, on ne bouge pas et on dit que c'est faux, si ça ne gronde pas, s'est bon, on peut y aller.Pourtant, s'agissant de l'Histoire, et même pour les fédéralistes, celle-ci doit participer à notre quête de sens. Évacuer les aspects obscurs et tristes de l'Histoire relève du révisionnisme. À ce titre. les Allemands aimeraient peut-être aussi oublier l'Holocauste, les Russes vouloir oublier les purges, les étasuniens la ségrégation et la traite des noirs. Tout ça est d'ailleurs si négatif pour le patriotisme! Le pire, c'est que cette révision est invoquée précisément dans le but d'un cours d'initiation à la citoyenneté pour les jeunes, comme il s'en fait ailleurs au Canada... Oublier nous mène à reproduire les erreurs du passé, à oublier aussi ce que nous sommes, ce que nous avons été et ce que nous pourrions êtres. Car, ne l'oublions pas (petit jeu de mots) nous sommes une somme d'expérience, jumelée à une capacité de tirer des conséquences grâce à notre capacité faire usage de la Raison.

Après avoir été conquis, dominés, exploités, colonisés, néo- colonisés, il nous faudrait maintenant apprendre « l'Histoire-light », ou tout le monde il est beau, tout le monde est si gentil l'a toujours été et le sera pour toujours, tra-la-la!

Appliquer cette réforme des cours relève du non-sens, car les élèves ne percevront pas le lien qui unit le discours et la réalité, ils ne saisiront pas la société dans laquelle ils vivent. Du moins, pour ce qui est de la première génération formée à cette enseigne... Pour les autres, une fois le souvenir des contradictions disparut... Qui sait, mais veut-on vraiment le savoir? De toute manière, les problèmes de la fédération ne disparaîtront pas avec l'oubli de l'Histoire. À ce titre, les régions auront toujours des disparités et des revendications différentes les unes des autres, et entreront inlassablement en conflit. Si le conflit ne se polarise pas sur les langues et le choc des deux nations fondatrices (les indiens n'ont pas fondé le pays, mais ont plutôt étés marginalisés, ce n'est que très récemment que l'on s'intéresse à eux, et encore! ) alors il s'exprimera autrement: disparité de revenu, de classes, d'ethnie, des sexes, de religion... Une société sans conflit c'est l'utopie négative derrière le « Meilleur des mondes » de Aldous Huxley.

C'est l'horreur technocratique.Il m'apparaît que les fédéralistes auraient tout intérêt à amadouer l'histoire, d'en tirer les leçons et de se réconcilier avec, sans quoi le pays qu'ils tentent de forger eux aussi à grands coups de millions dans patrimoine Canada ne sera toujours qu'un construit identitaire très fragile, car sans assises historiques solides. Un peuple sans histoire n'en est pas un, tout simplement. L'identité du Canada, tout comme celle du Québec, est historiquement constituée, ne l'oublions pas.

Une histoire à la Disney, ça n'intéresse personne, et surtout, ça évacue de notre vie tout repère au sens. Pourquoi sommes-nous une collectivité? Qu'est-ce qui nous unit, en quoi sommes-nous semblables et différents? Vouloir trafiquer l'Histoire équivaut à se trahir et à se mentir, à se replier sur une fausse individualité. Réviser l'Histoire équivaut à un acte totalitaire et déshumanisant qui nous réduit à ce que nous avons dans notre éternel instant présent, à notre petite subjectivité molle, et qui est donc inintelligible et éphémère. La civilisation est indissociable de son histoire.

Je me souviens,

Rico

Je lui ai envoyé, avec ma demande de le publier, une indication supplémentaire. Dès 2003, il était de l'intention du PLQ, à la demande de son aile anglophone lors du conseil national, de mettre au diapason l'enseignement de l'Histoire du Canada et du Québec avec ce qu'il est enseigné dans le reste du Canada. Selon eux, il serait temps de reprendre l'enseignement de l'Histoire pour une vision commune, celle du Canada. Bien sûr, ça serait pas mal différent de l'enseignement actuel, qualifié de "séparatiste"... donc les Patriotes seraient revus comme des "traîtres" envers la Couronne, même chose pour Louis Riel et la révolte des Métis, on tairait toute notion sur la disparition du fait français au Manitoba et en Ontario, ça ne serait plus Jacques Cartier le premier à prendre possession du Canada au nom de son Roi, mais bien John Cabot (devenu bien britannique, donc pas un Italien...), aux oubliettes les luttes contre la conscription de 1917 et 1940, ou encore, tant qu'à faire, assimilons-les à de la collaboration fasciste, et j'en passe.

Une bien belle histoire.

lundi, avril 17, 2006

Alain Dubuc et sa voie vers la richesse


Alain Dubuc est un homme constant dans ses idées. Le grand penseur politique des journaux de Power Corporation, lu autant à Montréal qu’à Québec et Gatineau nous gâte de ses opinions éclairantes, sans lesquelles nous aurions l’impression d’être passé à côté du succès, en tant que nation moderne et compétitive. Je ne parlerai pas seulement ici de son opus, Éloge de la richesse, dont les centaines d’exemplaires s’envolent allègrement vers les foyers québécois. Son éditorial de samedi le 15 avril dans La Presse, intitulé « Youhou… », est un bon exemple de sa façon de nous prévenir de façon très désintéressée de nos tendances collectives à bloquer la création de la richesse. Comme toujours, ce sont des indications préliminaires à faire rejaillir le lait et le miel de notre sol, il n’est pas étonnant que la grande Power Corporation nous permet de lire ces grandes tirades d’un bout à l’autre de la province.

Comme vous pouvez le constater, je ne prend pas du tout au sérieux les grandes interventions d’Alain Dubuc, comme je vient de l’écrire avec un brin d’ironie. Règle générale, les éditoriaux de la Presse, dans la catégorie de la malhonnêteté écrite, dépassent le peloton de très loin. On me rapportait que depuis qu’il est lu à Québec, au Soleil, on le regarde aller dans ses dérapes néo-libérales soft avec une certaine consternation. Voir un quotidien comme Le Soleil s’enfoncer de cette manière, c’est assez difficile pour ses fidèles lecteurs. Comme me le rapportait mes contacts là-bas, la prose de Dubuc rappelle celle des plumitifs des journaux catholiques ultramontains du temps de la domination unioniste sur la province. Le Soleil, en son temps, regroupait les journalistes issus de la tendance adverse. Comme ses influences ultramontaines du temps jadis, le grand éditorialiste essaie par le fait même de présenter son opinion comme celle qu’on attendait et qu’on considère la plus crédible. Même si dans sa prose, on peut détecter l’extrémisme et la disqualification définitive de tout autre point de vue.

La technique de Dubuc est simple. Il joue toujours à celui qui a la vision la plus modérée, dans la tendance de la « modernisation » telle que soutenue par le libéralisme éclairé, que nous connaissons parfaitement dans la bouche de notre premier ministre actuel, Jean Charest. Ainsi, il est intéressant de lire sa démarche en entonnoir, obligeant le lecteur à accepter des généralités du type « personne n’est contre la vertu et le bien commun », afin de nous faire avaler les couleuvres qu’il dissimule pas toujours très bien. Dans son « Youhou… » de samedi le 15 avril, sa position se résume par ces lignes suivantes : le Québec est pauvre et en net déclin, les chiffres le démontrent parfaitement, il faut des projets de nature économique car la richesse se calcule seulement en dollars, le problème est qu’il existe nombres d’embûches à la création de richesse et il faut les éliminer dès maintenant. Jusque là, on ne peut pas dire que c’est très nouveau comme discours. La couleuvre à avaler, elle apparaît comme suit : la politique bloque la création de la richesse, par le biais des groupes de pression, il faut donc éliminer la politique. Vous avez bien lu. Ce n’est pas radical, comme point de vue?

Selon les conseils de notre penseur domestiqué, les groupes de pression, ceux-là même qui ont bloqué avec succès la construction du CHUM à Outremont et celle du Casino dans Pointe-St-Charles ont imposer ce qu’il appelle un « immobilisme suicidaire ». C’est exactement le terme qu’il utilise. Dans la même veine, le prolongement de l’autoroute 25 ne devrait pas être mise en question, c’est « suicidaire », on devrait blâmer les méchants écologistes de «bloquer » un projet qui nous promet de façon si évidente des lendemains qui chantent. D’une certaine manière, les gens qui se regroupent et qui demandent des réflexions sur ces projets de façon légitime, dans les règles, selon un processus des plus éprouvés, des individus de cette trempe sont à classer avec les rebouteux hirsutes qui peuplent les franges de la scène politique. Tout juste bon à être considérés comme les skinhead néo-nazis et les nostalgiques du maoïsme. Selon la voie que Dubuc veut imposer, en somme un repositionnement drastique vers la droite libérale, toute tentative de se questionner sur des projets d’envergures économiques ne peut être que l’œuvre de personnes irrationnelles qu’on devrait faire taire, mais il n’ amène pas la suggestion aux lecteurs, il doit croire qu’elle viendra d’elle-même. Les groupes d’intérêts, voilà l’ennemi. Évidemment, on comprendra que le terme « groupes d’intérêts » n’identifie pas les rassemblements démocratiques des créateurs de richesse, les chambres de commerce, des « think tanks » comme l’IEDM, ou encore le Conseil du Patronat. Ceux-là devraient, selon notre grand éditorialiste, toujours avoir la voie libre pour développer, créer, innover, dans toute la flexibilité et la liberté voulue. C’est ce qu’on appelle la voie néo-libérale, dans toute sa splendeur. Dubuc peut toujours se défendre d'avoir une vision du monde à la Margaret Thatcher, il prend à ce moment-là ses lecteurs pour des imbéciles.

À notre avis, c’est ça l’extrémisme dissimulé des éditorialistes comme Dubuc. Mais le jupon dépasse encore une fois dans son éditorial, démontrant le désarroi d’un type comme lui, qui a senti le besoin de nous pondre un recueil des âneries qu’il nous débite trois à quatre fois par semaine, tant on n'embarque pas dans cet enthousiasme délirant. C’est énorme à avaler, demander la fin du processus démocratique, au nom de la richesse à créer. On n'est pas très loin de lire des odes à la gloire de la création « imposée » de la richesse, celle que les Chiliens et les Argentins ont expérimenté sous le joug des militaires. Ça serait pas mal, de lire Dubuc faire l’éloge de la dictature du général Pinochet, lorsque ce dernier passera l’arme à gauche.

lundi, avril 03, 2006

Les Contrats de première embauche (CPE): nous ne sommes pas dupes!


On en a entendu de toute sorte, dans cette crise près de son dénouement. Les CPE, pour « Contrats de premières embauches », sont apparus pour les uns la panacée pour réduire le chômage des jeunes en France, pour ces mêmes jeunes une façon de les réduire à du « cheap labor », au nom de la reprise économique, dans le contexte sempiternel de la mondialisation. Suite aux énormes manifestations, qualifiées ensuite à tort et à travers de prémisses d’un « Mai 68 », alors que la droite libérale hurle à l’urgence de maintenir le projet de loi tel quel au moment où la majorité parlementaire s’apprête à le réviser, nous en sommes à lire ici nos pontifes locaux du libre-marché. Que nous racontent-ils? La chute très prochaine de la France, vouée à la tiers-mondialisation, de son incapacité à se réformer, de l’obstination absurde et irrationnelle de la majorité à refuser la moindre flexibilité, cause de tous les maux du chômage, etc. Bref une vision d’économistes et de nantis, sur un problème qui ne les concerne que de manière idéologique. Des principaux intéressés, les jeunes de moins de 26 ans touchés par le chômage, quand on leur demande leur avis, on analyse la réponse, pour démontrer le drame de l’endoctrinement gauchiste et de leur incompréhension crasse de l’économie. Quand on en trouve un favorable au CPE, on le qualifie de « lucide », c’est connu…

Dans le débat, comment ne pas être touché par la sensibilité des libéraux, envers le chômage chronique des jeunes en France? En fait, le chômage a été le lot des Français depuis plus de 30 ans, il n’a qu’à parcourir les archives des journaux, pour voir la récurrence du thème. On a revu et cerné le problème de toute part, on a apporté tant de solutions, la plupart non appliquée parce que invendables politiquement. Alors, pourquoi les CPE devraient être LA solution miracle? Pourquoi les libéraux, inconnus jusque là comme des gens allant à présenter leur cœur avant la raison, se mettent à promouvoir de façon larmoyante ces CPE, au nom de tous ces jeunes chômeurs? Allons donc! C’est par manque d’imagination, plus que par compassion, qu’ils en sont réduit à s’accrocher à de pareilles sornettes. De façon plus nette, voici le but recherché :
« La France a un énorme problème avec le chômage des jeunes parce que le coût du travail des emplois non qualifiés est beaucoup trop élevé en comparaison des autres pays européens. Et les licenciements sont soumis à de longues procédures administratives qui freinent l'emploi. » Jean-Philippe Cotis, chef économiste à l'OCDE, dans un entretien au journal Le Monde. Pas besoin de faire passer les jeunes pour des ingrats! En clair : les travailleurs gagnent trop cher, les patrons ne sont pas intéressés d’investir en France à ces conditions, tant pis si les jeunes ne se plient pas, ils resteront dans la précarité, dans leur banlieues, dans leurs désillusion…

Alors, pourquoi les libéraux, et en premier les économistes de choc à la Claude Picher et autres du même bois, pourquoi cherchent-ils à faire passer le mouvement anti-CPE comme un mouvement voué à l’irrationnel, rétrograde, manipulé par des « communistes » ou une quelconque conspiration occulte? Pourquoi font-ils les larmoyants, contestant la compassion de la gauche au profit de celle des patrons, soucieux du bien-être de tous ces jeunes chômeurs français? C’est l’épuisement, la fin des arguments, ils en sont presque rendu à exiger une forme d’autoritarisme, afin d’appliquer ce types de déréglementation, à l’image des dictatures du Sud, les désormais « concurrents ». Il faut donc s’ajuster, sinon on va manquer le bateau. Air connu.

Les CPE, c’est l’imposition à une génération le concept des « pauvres qui travaillent », tel que connu en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord. Les travailleurs français, plus conscients que quiconque de l’histoire des luttes sociales, ne sont pas dupes de ces CPE qui ne sont finalement qu’une répétition de l’expérience du néo-libéralisme dans sa version imposée aux Britanniques par Margaret Thatcher, une halte au progrès social, le retour au capitalisme du XIXe siècle, avec tout ce qu’il représente comme arbitraire. Dans l’imaginaire, c’est s’en tenir à une précarité perpétuelle et sans espoir d’amélioration, au profit de quelques-uns. Le CPE, qu’il soit d’une durée d’un an ou deux, c’est une soumission à tout un monde d’arbitraire, où le travailleur se doit d’être parfait aux yeux de son patron, en dépit de son humanité. Comme le résumais une jeune manifestante lors des rassemblements du 28 mars : « Les CPE, ça nous soumet aux caprices du premier patron venu, qui pourra nous obliger de coucher avec lui, sans qu’on puisse faire aucun recours, de crainte de se retrouver au chômage ». Cela démontre toute la conscience des jeunes en France, devant une mauvaise foi de la droite libérale et de son héraut de Villepin, dont l’intransigeance trahi davantage son souci de faire le plein d’appuis auprès du patronat français, un an avant l’échéance électorale présidentielle.

Ce qu’on doit retenir du mouvement anti-CPE, c’est la capacité extraordinaire de la population française à se mobiliser contre des projets de loi iniques comme celui-là. C’est se battre contre l’objectif affirmé des idéologues néo-libéraux de contraindre les gens à accepter d’être mis en concurrence avec les travailleurs du tiers-monde, avec le nivellement par le bas des conditions de vie par l’aiguillon du chômage et de la précarité, au nom d’un enrichissement collectif chimérique basé sur l’enrichissement d’une classe d’exploiteurs internationaux, dont on finirait par obtenir les miettes de leur scandaleuse richesse.

mardi, février 14, 2006

L'errance possible de la liberté


Plusieurs sont demeurés surpris, pour ne pas dire estomaqués des réactions de violence dans le monde musulman suite à la publication des caricatures haineuses contre le prophète Mohammed au Danemark. Voir deux ou trois ambassades de ce pays brûler, quand ce ne fut pas celle de la Norvège, c’est un spectacle nous rappelant les fanatismes de notre monde. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que ces explosions de colère ne sont pas seules tributaires d’une indignation justifiée, mais aussi de la manipulation de quelques gouvernements ou partis politiques en recherche d’appuis, devant la popularité de l’intégrisme religieux dans leur pays. Je pense notamment à la Syrie et au Liban mais aussi à l’Iran. Pour ceux qui l’ignorent, les publications datent du mois de septembre dernier, les émeutes actuelles sont vraiment à rebours. Il faut cependant s’inquiéter d’un autre aspect non négligeable à cette affaire, la légèreté avec laquelle certains ont défendu la publication de ces caricatures.

Je ne suis pas de ceux dont on va appeler un amoureux de la liberté à outrance. Militant de gauche, je ne suis pas pourtant insensible à la critique de droite voulant que les progressistes de toute tendance soient suspect de relativisme moral. Autrefois, en voulant accélérer le mouvement vers l’émancipation populaire, on a entendu maintes fois des discours encourageant la braderie généralisée des valeurs et des institutions, au nom de la liberté. Famille, école, éducation, morale, foi, tout a été passé dans le tordeur de la critique intensément négative d’une gauche révolutionnaire occidentale, dont le point culminant de cette époque a été le mois de Mai 1968 en France. Le souvenir que cette époque a laissé dans la mémoire collective a été telle que la gauche, encore aujourd’hui, doit se défendre perpétuellement d’une série d’errances, d’où découlerait nombres de problèmes sociaux très réels. C’est pourquoi dans mon propre vocabulaire, j’ai pris soin d’intégrer la notion de « responsabilité », peut-être un des rares concepts que je partage avec les néo-libéraux.

La publication de ces caricatures, essentiellement anti-musulmanes et volontairement blasphématoires, a été le fait d’un journal conservateur, l’équivalent du « Journal de Montréal/Québec » mais avec une forte tendance au populisme xénophobe et néo-libéral, dont malheureusement nous n’avons pas été épargné de sa présence, notamment à Québec avec la « radio-poubelle » de CHOI-FM et les 25 années de travail d'André Arthur. Les reprises ont été les faits de publications semblables, avec une équivalence malheureuse à gauche par un journal satirique en France, Charlie Hebdo, dont les rédacteurs se réclament du même discours nihiliste et sans nuance que j’exposait plus haut. Ces provocations ont servi à alimenter le feu de la colère des populations musulmanes, même celles intégrées des sociétés occidentales, au nom de la liberté d’expression, sans évidemment en avoir jugé de la responsabilité à assurer en retour. Cette colère ne semble pas s’essouffler et s’alimente d’elle-même, dans un contexte de haute tension internationale (Iran, Irak, Afghanistan) interne même en l’Occident (crise des banlieues françaises). À cette date, je m’inquiète de la tournure des événements et pas seulement pour les Danois. On risque de payer le prix d’une défense toute individualiste et incohérente de la liberté d’expression, en foulant au pied les notions même de respect et de tolérance. Maladroitement, nous avons nourri le fanatisme et l’intégrisme religieux en confortant ses chefs dans leur appel à la haine de l’Occident.

C’est pourquoi il me semblait important de rappeler ce que signifie la liberté. Elle se doit d’être balisée, dans le souci de ne pas heurter le prochain, simplement pour le plaisir de se draper dans des principes. La responsabilité doit être le pendant naturel de la liberté, de façon à assurer le « vouloir vivre ensemble », contrairement à cette liberté sans borne que défend cet individualisme haineux et irresponsable encouragé par la droite néo-libérale. La rectitude politique tant décriée à droite n’a pas été vaine, c’est pour éviter une situation telle que nous le voyons qu’elle avait progressivement mise en place, avec ses défauts mais aussi ses promesses d’un monde de tolérance et de respect, chose qui a désormais échappé à cette droite gueularde.