lundi, mai 22, 2006

Le dur réveil de Michel Kelly-Gagnon


Les événements nous dépassent, ou encore nous amènent à accélérer certains de nos projets ou idées que l’ont souhaitent concrétiser. La rédaction de ce blog ne fait pas exception, la sortie avortée de Michel Kelly-Gagnon la semaine dernière m’a amené rapidement à écrire sur lui, en tant que nouveau président du Conseil du Patronat du Québec (CPQ). Ou encore, le représentant officiel des créateurs auto-proclamés des richesses de notre pays. J’avais l’intention d’écrire sur son arrivée à la tête du CPQ, car j’ai une très bonne idée de ses projets.

Personne ne sera surpris des positions de ce lobby. Du temps du prédécesseur de M. Kelly-Gagnon, M. Gilles Taillon, le type dont le programme agressivement anti-syndical du Parti libéral du Québec était comme « de la musique à ses oreilles », le CPQ s’était donné comme programme une liste d’objectifs, connus de longue date comme étant issus de la pensée néo-libéral. Un coup d’œil sur le programme à l’adresse suivante http://www.cpq.qc.ca/files/PDF/Memoires/0409-PLATEFORME04-06.pdf en dit long sur ses accointances avec l’idéologie en question. Une application intégrale de cette liste d’objectifs transformerait radicalement le Québec, mais je ne suis pas certain que les membres du CPQ tiennent tant à accélérer la marche vers le capitalisme intégral. Je ne suis pas non plus convaincu de la présence en grand nombre de révolutionnaires conservateurs parmi les patrons, bavant d’envie de faire du Québec une autre république thatchérienne. Dès sa création, au début des années 70, le CPQ a défendu grosso-modo les mêmes positions, de la même façon que le peuvent les représentants des centrales syndicales pour les leurs. La différence est qu’aujourd’hui l’actuel premier ministre ne renvoie pas les appels aussi rapidement au syndicalistes qu’aux représentants patronaux, il en va de soi. Le CPQ essaie d’influencer le gouvernement, comme tout groupe organisé, mais jamais il a dénigré le droit d’en faire autant de la part de ses adversaires idéologiques. Il a pourtant bien failli le faire, cette semaine, grâce à son président.

Je résume en quelques mots l’événement révélateur de la pensée profonde du nouveau président du CPQ, tel que rapporté dans la Presse de jeudi le 18 mai. On rapportait que M. Kelly-Gagnon devait envoyer une lettre ouverte aux quotidiens du Québec, mais il devait d’abord tâter le terrain auprès de ses membres, afin de sonder leur opinion. Certains d’entre eux ont été dérangés par le ton très agressif envers les groupes communautaires qu’utilisait leur président. Ce dernier, dans sa lettre, suggère que les groupes ne sont que des « professionnels de la contestation » et, à mots couverts, devraient être réduits au silence en leur coupant les subventions dont ils bénéficient. Il leur reprochait surtout l’abandon du projet du Casino dans Point-St-Charles, de même que le frein à tout projet « créateurs de richesse ». Voici ce qu’il apportait précisément dans sa lettre, selon La Presse :
-Comment a-t-on pu en arriver là? Parce que des professionnels de la contestation réussissent souvent à se faire payer par l'État, pour dire à l'État quoi faire. En 2004-2005, le gouvernement du Québec a octroyé plus de 631 millions à quelque 5000 organismes d'action communautaire, par l'entremise de 75 programmes ou mesures d'aide financière. En moins d'une décennie, le montant des octrois accordés aux groupes communautaires a augmenté de 155 % (…) Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les pouvoirs publics soient pratiquement incapables de prendre des décisions économiques sensées quand elles ont le malheur de heurter les préjugés des professionnels de la contestation. Force est de constater que leur influence politique est excessive et qu'ils ont un effet paralysant sur le développement économique de la province. Ils nuisent carrément à la prospérité générale. On ne peut plus tolérer cette situation, au risque de voir l'économie du Québec tomber dans le marasme.

Nul doute que ce type de position ne pouvait faire l’unanimité au sein du CPQ. Pour être franc, on ne peut condamner ce lobby comme un refuge d’idéologues néo-libéraux, les prises de positions passées du CPQ ne sont certainement pas des plus intéressantes, mais n’ont pas été non plus dictées dans esprit exempt de toute flexibilité. Des membre de ce lobby on tellement peu apprécié la lettre qu’ils l’ont fait parvenir aux journalistes, en dénonçant cette prise de position. C’est pourquoi le repli du président Kelly-Gagnon ne m’apparaît pas si étonnant. En fait, il s’est fait rappeler par ses membres qu’il n’était plus à la tête de l’Institut économique de Montréal (IEDM), le think tank québécois du néo-libéralisme.

De ce temps où tout lui était permis de dire et écrire, M. Kelly-Gagnon s’en était pris à plusieurs reprises contre les groupes communautaires, avec le même ton. Dans un texte paru dans le journal Les Affaires le 24 janvier 2004 (http://www.iedm.org/main/show_editorials_fr.php?editorials_id=24) il reprend la même rhétorique contre les groupes anti-tabac. Dans le même journal, le 14 septembre 2002 (http://www.iedm.org/main/show_editorials_fr.php?editorials_id=54), dans une intervention des plus édifiantes sur la pensée magique où seul le marché règle tout, il va jusqu’à écrire que « Les employés des groupes de pression n’ont jamais intérêt à dire que les choses s’améliorent dans leur domaine. De même, les employés des ministères qui traitent de ces questions et qui financent ces groupes augmentent leur budget, et par conséquent, leur influence, en créant de nouveaux plans stratégiques et autres interventions structurantes». Par la même occasion, il prétendait que l’IEDM a une position indépendante et avait davantage de crédibilité que tous ces groupes, avides de subventions. C’est assez réducteur comme jugement, mais logique avec le néo-libéralisme. De façon générale, M. Kelly-Gagnon et son Institut réfutent à l’État de pourvoir aux besoins à tout groupe de pression, car les néo-libéraux considèrent que la liberté de parole ne signifie pas qu’on la subventionne. C’est un vieux débat, que les autres instituts-frères de l’IEDM ressassent depuis des lunes.

Le réveil a sans doute été dur pour M. Kelly-Gagnon, mais pourtant il n’a pas été la seule personnalité très visible à adopter la même position et avec le même ton. J’ai rapporté dans ce même blog en avril comment l’éditorialiste Alain Dubuc, la voix de Gesca et Power Corporation, avait qualifié l’activité des groupes communautaires « d’immobilisme suicidaire ». Dans la Presse, deux semaines plus tard, Mario Roy a produit deux textes de la même mouture, où il tente de démontrer pompeusement qu’il fallait considérer les groupes de pressions à égalité, les groupes communautaires comme les « créateurs de richesse » les moins scrupuleux. Une recherche rapide devrait nous permettre de retrouver davantage de tirades de même nature contre les groupes communautaires, de la part des éditorialiste et des chroniqueurs économiques, notamment les très subtils Claude Piché et Lysianne Gagnon. Pourtant, c’est dans La Presse qu’a été rapporté la dérape de Michel Kelly-Gagnon. Peut-être qu’au sein des salles de presse de la grande concentration privée, la position néo-libérale n’est plus aussi bien accueillie. Dans la chronique Des Oh! et des Bah! du dimanche suivant (21 mai), Michel Kelly-Gagnon et le CPQ ont été classé dans la vignette « En baisse ». On peut toujours rêver.

On ne va pas s’ennuyer, avec le nouvel ayatollah du capitalisme à la tête du CPQ. Les patrons membre du lobby non plus, à leur grand désarroi.

mercredi, mai 03, 2006

L'Histoire selon les Libéraux


Suite à la nouvelle concernant les échos très inquiétants en provenance du Ministère de l'Éducation, à propos du projet d'enseignement de l'Histoire du Québec "revisé" et surtout expurgé de toute notion à caractère politique, j'allait en faire le sujet de mon texte. Au moment de me mettre à la tâche, j'ai reçu ce courriel de Rico, mon camarade de notre syndicat, maintenant sous un autre ciel avec sa copine Julie, en Outaouais. Il m'a tout simplement écrit ce que je n'aurais pas pu faire avec autant de brio. Impressionné, je lui ai demandé de reprendre son courriel pour mon blog. Voici ce qu'il m'a envoyé.


Salut Alain,

J'ai lu un article ce matin sur la volonté du gouvernement Charest de réviser les cours d'histoire et d'évacuer les éléments moins glorieux, ou moins unifiants... Julie et moi étions furax. J'ai par la suite écouté une entrevue avec Fournier (ministre de l'éducation), très habile celui-là, il nous glisse toujours entre les doigts. Il affirme que ce n'était pas l'intention du gouvernement, mais bien un papier de travail, dont il n'avait pas encore eu connaissance, donc, sur lequel il ne se prononcera pas sur la validité... Bref, il nous dit que ( bla!, bla!, bla! ) il y aura davantage d'heures de cours, plus de contenu, et que le conflit social ne sera pas évacué. J'ESPÈRE bien!

Non mais, je crois que c'est comme bien des projets libéraux. Il m'apparaît que parfois ces fuites sont presque intentionnelles. Comme s'ils voulaient tester l'opinion publique ; si ça grogne, on ne bouge pas et on dit que c'est faux, si ça ne gronde pas, s'est bon, on peut y aller.Pourtant, s'agissant de l'Histoire, et même pour les fédéralistes, celle-ci doit participer à notre quête de sens. Évacuer les aspects obscurs et tristes de l'Histoire relève du révisionnisme. À ce titre. les Allemands aimeraient peut-être aussi oublier l'Holocauste, les Russes vouloir oublier les purges, les étasuniens la ségrégation et la traite des noirs. Tout ça est d'ailleurs si négatif pour le patriotisme! Le pire, c'est que cette révision est invoquée précisément dans le but d'un cours d'initiation à la citoyenneté pour les jeunes, comme il s'en fait ailleurs au Canada... Oublier nous mène à reproduire les erreurs du passé, à oublier aussi ce que nous sommes, ce que nous avons été et ce que nous pourrions êtres. Car, ne l'oublions pas (petit jeu de mots) nous sommes une somme d'expérience, jumelée à une capacité de tirer des conséquences grâce à notre capacité faire usage de la Raison.

Après avoir été conquis, dominés, exploités, colonisés, néo- colonisés, il nous faudrait maintenant apprendre « l'Histoire-light », ou tout le monde il est beau, tout le monde est si gentil l'a toujours été et le sera pour toujours, tra-la-la!

Appliquer cette réforme des cours relève du non-sens, car les élèves ne percevront pas le lien qui unit le discours et la réalité, ils ne saisiront pas la société dans laquelle ils vivent. Du moins, pour ce qui est de la première génération formée à cette enseigne... Pour les autres, une fois le souvenir des contradictions disparut... Qui sait, mais veut-on vraiment le savoir? De toute manière, les problèmes de la fédération ne disparaîtront pas avec l'oubli de l'Histoire. À ce titre, les régions auront toujours des disparités et des revendications différentes les unes des autres, et entreront inlassablement en conflit. Si le conflit ne se polarise pas sur les langues et le choc des deux nations fondatrices (les indiens n'ont pas fondé le pays, mais ont plutôt étés marginalisés, ce n'est que très récemment que l'on s'intéresse à eux, et encore! ) alors il s'exprimera autrement: disparité de revenu, de classes, d'ethnie, des sexes, de religion... Une société sans conflit c'est l'utopie négative derrière le « Meilleur des mondes » de Aldous Huxley.

C'est l'horreur technocratique.Il m'apparaît que les fédéralistes auraient tout intérêt à amadouer l'histoire, d'en tirer les leçons et de se réconcilier avec, sans quoi le pays qu'ils tentent de forger eux aussi à grands coups de millions dans patrimoine Canada ne sera toujours qu'un construit identitaire très fragile, car sans assises historiques solides. Un peuple sans histoire n'en est pas un, tout simplement. L'identité du Canada, tout comme celle du Québec, est historiquement constituée, ne l'oublions pas.

Une histoire à la Disney, ça n'intéresse personne, et surtout, ça évacue de notre vie tout repère au sens. Pourquoi sommes-nous une collectivité? Qu'est-ce qui nous unit, en quoi sommes-nous semblables et différents? Vouloir trafiquer l'Histoire équivaut à se trahir et à se mentir, à se replier sur une fausse individualité. Réviser l'Histoire équivaut à un acte totalitaire et déshumanisant qui nous réduit à ce que nous avons dans notre éternel instant présent, à notre petite subjectivité molle, et qui est donc inintelligible et éphémère. La civilisation est indissociable de son histoire.

Je me souviens,

Rico

Je lui ai envoyé, avec ma demande de le publier, une indication supplémentaire. Dès 2003, il était de l'intention du PLQ, à la demande de son aile anglophone lors du conseil national, de mettre au diapason l'enseignement de l'Histoire du Canada et du Québec avec ce qu'il est enseigné dans le reste du Canada. Selon eux, il serait temps de reprendre l'enseignement de l'Histoire pour une vision commune, celle du Canada. Bien sûr, ça serait pas mal différent de l'enseignement actuel, qualifié de "séparatiste"... donc les Patriotes seraient revus comme des "traîtres" envers la Couronne, même chose pour Louis Riel et la révolte des Métis, on tairait toute notion sur la disparition du fait français au Manitoba et en Ontario, ça ne serait plus Jacques Cartier le premier à prendre possession du Canada au nom de son Roi, mais bien John Cabot (devenu bien britannique, donc pas un Italien...), aux oubliettes les luttes contre la conscription de 1917 et 1940, ou encore, tant qu'à faire, assimilons-les à de la collaboration fasciste, et j'en passe.

Une bien belle histoire.