mardi, février 14, 2006

L'errance possible de la liberté


Plusieurs sont demeurés surpris, pour ne pas dire estomaqués des réactions de violence dans le monde musulman suite à la publication des caricatures haineuses contre le prophète Mohammed au Danemark. Voir deux ou trois ambassades de ce pays brûler, quand ce ne fut pas celle de la Norvège, c’est un spectacle nous rappelant les fanatismes de notre monde. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que ces explosions de colère ne sont pas seules tributaires d’une indignation justifiée, mais aussi de la manipulation de quelques gouvernements ou partis politiques en recherche d’appuis, devant la popularité de l’intégrisme religieux dans leur pays. Je pense notamment à la Syrie et au Liban mais aussi à l’Iran. Pour ceux qui l’ignorent, les publications datent du mois de septembre dernier, les émeutes actuelles sont vraiment à rebours. Il faut cependant s’inquiéter d’un autre aspect non négligeable à cette affaire, la légèreté avec laquelle certains ont défendu la publication de ces caricatures.

Je ne suis pas de ceux dont on va appeler un amoureux de la liberté à outrance. Militant de gauche, je ne suis pas pourtant insensible à la critique de droite voulant que les progressistes de toute tendance soient suspect de relativisme moral. Autrefois, en voulant accélérer le mouvement vers l’émancipation populaire, on a entendu maintes fois des discours encourageant la braderie généralisée des valeurs et des institutions, au nom de la liberté. Famille, école, éducation, morale, foi, tout a été passé dans le tordeur de la critique intensément négative d’une gauche révolutionnaire occidentale, dont le point culminant de cette époque a été le mois de Mai 1968 en France. Le souvenir que cette époque a laissé dans la mémoire collective a été telle que la gauche, encore aujourd’hui, doit se défendre perpétuellement d’une série d’errances, d’où découlerait nombres de problèmes sociaux très réels. C’est pourquoi dans mon propre vocabulaire, j’ai pris soin d’intégrer la notion de « responsabilité », peut-être un des rares concepts que je partage avec les néo-libéraux.

La publication de ces caricatures, essentiellement anti-musulmanes et volontairement blasphématoires, a été le fait d’un journal conservateur, l’équivalent du « Journal de Montréal/Québec » mais avec une forte tendance au populisme xénophobe et néo-libéral, dont malheureusement nous n’avons pas été épargné de sa présence, notamment à Québec avec la « radio-poubelle » de CHOI-FM et les 25 années de travail d'André Arthur. Les reprises ont été les faits de publications semblables, avec une équivalence malheureuse à gauche par un journal satirique en France, Charlie Hebdo, dont les rédacteurs se réclament du même discours nihiliste et sans nuance que j’exposait plus haut. Ces provocations ont servi à alimenter le feu de la colère des populations musulmanes, même celles intégrées des sociétés occidentales, au nom de la liberté d’expression, sans évidemment en avoir jugé de la responsabilité à assurer en retour. Cette colère ne semble pas s’essouffler et s’alimente d’elle-même, dans un contexte de haute tension internationale (Iran, Irak, Afghanistan) interne même en l’Occident (crise des banlieues françaises). À cette date, je m’inquiète de la tournure des événements et pas seulement pour les Danois. On risque de payer le prix d’une défense toute individualiste et incohérente de la liberté d’expression, en foulant au pied les notions même de respect et de tolérance. Maladroitement, nous avons nourri le fanatisme et l’intégrisme religieux en confortant ses chefs dans leur appel à la haine de l’Occident.

C’est pourquoi il me semblait important de rappeler ce que signifie la liberté. Elle se doit d’être balisée, dans le souci de ne pas heurter le prochain, simplement pour le plaisir de se draper dans des principes. La responsabilité doit être le pendant naturel de la liberté, de façon à assurer le « vouloir vivre ensemble », contrairement à cette liberté sans borne que défend cet individualisme haineux et irresponsable encouragé par la droite néo-libérale. La rectitude politique tant décriée à droite n’a pas été vaine, c’est pour éviter une situation telle que nous le voyons qu’elle avait progressivement mise en place, avec ses défauts mais aussi ses promesses d’un monde de tolérance et de respect, chose qui a désormais échappé à cette droite gueularde.