lundi, avril 17, 2006

Alain Dubuc et sa voie vers la richesse


Alain Dubuc est un homme constant dans ses idées. Le grand penseur politique des journaux de Power Corporation, lu autant à Montréal qu’à Québec et Gatineau nous gâte de ses opinions éclairantes, sans lesquelles nous aurions l’impression d’être passé à côté du succès, en tant que nation moderne et compétitive. Je ne parlerai pas seulement ici de son opus, Éloge de la richesse, dont les centaines d’exemplaires s’envolent allègrement vers les foyers québécois. Son éditorial de samedi le 15 avril dans La Presse, intitulé « Youhou… », est un bon exemple de sa façon de nous prévenir de façon très désintéressée de nos tendances collectives à bloquer la création de la richesse. Comme toujours, ce sont des indications préliminaires à faire rejaillir le lait et le miel de notre sol, il n’est pas étonnant que la grande Power Corporation nous permet de lire ces grandes tirades d’un bout à l’autre de la province.

Comme vous pouvez le constater, je ne prend pas du tout au sérieux les grandes interventions d’Alain Dubuc, comme je vient de l’écrire avec un brin d’ironie. Règle générale, les éditoriaux de la Presse, dans la catégorie de la malhonnêteté écrite, dépassent le peloton de très loin. On me rapportait que depuis qu’il est lu à Québec, au Soleil, on le regarde aller dans ses dérapes néo-libérales soft avec une certaine consternation. Voir un quotidien comme Le Soleil s’enfoncer de cette manière, c’est assez difficile pour ses fidèles lecteurs. Comme me le rapportait mes contacts là-bas, la prose de Dubuc rappelle celle des plumitifs des journaux catholiques ultramontains du temps de la domination unioniste sur la province. Le Soleil, en son temps, regroupait les journalistes issus de la tendance adverse. Comme ses influences ultramontaines du temps jadis, le grand éditorialiste essaie par le fait même de présenter son opinion comme celle qu’on attendait et qu’on considère la plus crédible. Même si dans sa prose, on peut détecter l’extrémisme et la disqualification définitive de tout autre point de vue.

La technique de Dubuc est simple. Il joue toujours à celui qui a la vision la plus modérée, dans la tendance de la « modernisation » telle que soutenue par le libéralisme éclairé, que nous connaissons parfaitement dans la bouche de notre premier ministre actuel, Jean Charest. Ainsi, il est intéressant de lire sa démarche en entonnoir, obligeant le lecteur à accepter des généralités du type « personne n’est contre la vertu et le bien commun », afin de nous faire avaler les couleuvres qu’il dissimule pas toujours très bien. Dans son « Youhou… » de samedi le 15 avril, sa position se résume par ces lignes suivantes : le Québec est pauvre et en net déclin, les chiffres le démontrent parfaitement, il faut des projets de nature économique car la richesse se calcule seulement en dollars, le problème est qu’il existe nombres d’embûches à la création de richesse et il faut les éliminer dès maintenant. Jusque là, on ne peut pas dire que c’est très nouveau comme discours. La couleuvre à avaler, elle apparaît comme suit : la politique bloque la création de la richesse, par le biais des groupes de pression, il faut donc éliminer la politique. Vous avez bien lu. Ce n’est pas radical, comme point de vue?

Selon les conseils de notre penseur domestiqué, les groupes de pression, ceux-là même qui ont bloqué avec succès la construction du CHUM à Outremont et celle du Casino dans Pointe-St-Charles ont imposer ce qu’il appelle un « immobilisme suicidaire ». C’est exactement le terme qu’il utilise. Dans la même veine, le prolongement de l’autoroute 25 ne devrait pas être mise en question, c’est « suicidaire », on devrait blâmer les méchants écologistes de «bloquer » un projet qui nous promet de façon si évidente des lendemains qui chantent. D’une certaine manière, les gens qui se regroupent et qui demandent des réflexions sur ces projets de façon légitime, dans les règles, selon un processus des plus éprouvés, des individus de cette trempe sont à classer avec les rebouteux hirsutes qui peuplent les franges de la scène politique. Tout juste bon à être considérés comme les skinhead néo-nazis et les nostalgiques du maoïsme. Selon la voie que Dubuc veut imposer, en somme un repositionnement drastique vers la droite libérale, toute tentative de se questionner sur des projets d’envergures économiques ne peut être que l’œuvre de personnes irrationnelles qu’on devrait faire taire, mais il n’ amène pas la suggestion aux lecteurs, il doit croire qu’elle viendra d’elle-même. Les groupes d’intérêts, voilà l’ennemi. Évidemment, on comprendra que le terme « groupes d’intérêts » n’identifie pas les rassemblements démocratiques des créateurs de richesse, les chambres de commerce, des « think tanks » comme l’IEDM, ou encore le Conseil du Patronat. Ceux-là devraient, selon notre grand éditorialiste, toujours avoir la voie libre pour développer, créer, innover, dans toute la flexibilité et la liberté voulue. C’est ce qu’on appelle la voie néo-libérale, dans toute sa splendeur. Dubuc peut toujours se défendre d'avoir une vision du monde à la Margaret Thatcher, il prend à ce moment-là ses lecteurs pour des imbéciles.

À notre avis, c’est ça l’extrémisme dissimulé des éditorialistes comme Dubuc. Mais le jupon dépasse encore une fois dans son éditorial, démontrant le désarroi d’un type comme lui, qui a senti le besoin de nous pondre un recueil des âneries qu’il nous débite trois à quatre fois par semaine, tant on n'embarque pas dans cet enthousiasme délirant. C’est énorme à avaler, demander la fin du processus démocratique, au nom de la richesse à créer. On n'est pas très loin de lire des odes à la gloire de la création « imposée » de la richesse, celle que les Chiliens et les Argentins ont expérimenté sous le joug des militaires. Ça serait pas mal, de lire Dubuc faire l’éloge de la dictature du général Pinochet, lorsque ce dernier passera l’arme à gauche.

lundi, avril 03, 2006

Les Contrats de première embauche (CPE): nous ne sommes pas dupes!


On en a entendu de toute sorte, dans cette crise près de son dénouement. Les CPE, pour « Contrats de premières embauches », sont apparus pour les uns la panacée pour réduire le chômage des jeunes en France, pour ces mêmes jeunes une façon de les réduire à du « cheap labor », au nom de la reprise économique, dans le contexte sempiternel de la mondialisation. Suite aux énormes manifestations, qualifiées ensuite à tort et à travers de prémisses d’un « Mai 68 », alors que la droite libérale hurle à l’urgence de maintenir le projet de loi tel quel au moment où la majorité parlementaire s’apprête à le réviser, nous en sommes à lire ici nos pontifes locaux du libre-marché. Que nous racontent-ils? La chute très prochaine de la France, vouée à la tiers-mondialisation, de son incapacité à se réformer, de l’obstination absurde et irrationnelle de la majorité à refuser la moindre flexibilité, cause de tous les maux du chômage, etc. Bref une vision d’économistes et de nantis, sur un problème qui ne les concerne que de manière idéologique. Des principaux intéressés, les jeunes de moins de 26 ans touchés par le chômage, quand on leur demande leur avis, on analyse la réponse, pour démontrer le drame de l’endoctrinement gauchiste et de leur incompréhension crasse de l’économie. Quand on en trouve un favorable au CPE, on le qualifie de « lucide », c’est connu…

Dans le débat, comment ne pas être touché par la sensibilité des libéraux, envers le chômage chronique des jeunes en France? En fait, le chômage a été le lot des Français depuis plus de 30 ans, il n’a qu’à parcourir les archives des journaux, pour voir la récurrence du thème. On a revu et cerné le problème de toute part, on a apporté tant de solutions, la plupart non appliquée parce que invendables politiquement. Alors, pourquoi les CPE devraient être LA solution miracle? Pourquoi les libéraux, inconnus jusque là comme des gens allant à présenter leur cœur avant la raison, se mettent à promouvoir de façon larmoyante ces CPE, au nom de tous ces jeunes chômeurs? Allons donc! C’est par manque d’imagination, plus que par compassion, qu’ils en sont réduit à s’accrocher à de pareilles sornettes. De façon plus nette, voici le but recherché :
« La France a un énorme problème avec le chômage des jeunes parce que le coût du travail des emplois non qualifiés est beaucoup trop élevé en comparaison des autres pays européens. Et les licenciements sont soumis à de longues procédures administratives qui freinent l'emploi. » Jean-Philippe Cotis, chef économiste à l'OCDE, dans un entretien au journal Le Monde. Pas besoin de faire passer les jeunes pour des ingrats! En clair : les travailleurs gagnent trop cher, les patrons ne sont pas intéressés d’investir en France à ces conditions, tant pis si les jeunes ne se plient pas, ils resteront dans la précarité, dans leur banlieues, dans leurs désillusion…

Alors, pourquoi les libéraux, et en premier les économistes de choc à la Claude Picher et autres du même bois, pourquoi cherchent-ils à faire passer le mouvement anti-CPE comme un mouvement voué à l’irrationnel, rétrograde, manipulé par des « communistes » ou une quelconque conspiration occulte? Pourquoi font-ils les larmoyants, contestant la compassion de la gauche au profit de celle des patrons, soucieux du bien-être de tous ces jeunes chômeurs français? C’est l’épuisement, la fin des arguments, ils en sont presque rendu à exiger une forme d’autoritarisme, afin d’appliquer ce types de déréglementation, à l’image des dictatures du Sud, les désormais « concurrents ». Il faut donc s’ajuster, sinon on va manquer le bateau. Air connu.

Les CPE, c’est l’imposition à une génération le concept des « pauvres qui travaillent », tel que connu en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord. Les travailleurs français, plus conscients que quiconque de l’histoire des luttes sociales, ne sont pas dupes de ces CPE qui ne sont finalement qu’une répétition de l’expérience du néo-libéralisme dans sa version imposée aux Britanniques par Margaret Thatcher, une halte au progrès social, le retour au capitalisme du XIXe siècle, avec tout ce qu’il représente comme arbitraire. Dans l’imaginaire, c’est s’en tenir à une précarité perpétuelle et sans espoir d’amélioration, au profit de quelques-uns. Le CPE, qu’il soit d’une durée d’un an ou deux, c’est une soumission à tout un monde d’arbitraire, où le travailleur se doit d’être parfait aux yeux de son patron, en dépit de son humanité. Comme le résumais une jeune manifestante lors des rassemblements du 28 mars : « Les CPE, ça nous soumet aux caprices du premier patron venu, qui pourra nous obliger de coucher avec lui, sans qu’on puisse faire aucun recours, de crainte de se retrouver au chômage ». Cela démontre toute la conscience des jeunes en France, devant une mauvaise foi de la droite libérale et de son héraut de Villepin, dont l’intransigeance trahi davantage son souci de faire le plein d’appuis auprès du patronat français, un an avant l’échéance électorale présidentielle.

Ce qu’on doit retenir du mouvement anti-CPE, c’est la capacité extraordinaire de la population française à se mobiliser contre des projets de loi iniques comme celui-là. C’est se battre contre l’objectif affirmé des idéologues néo-libéraux de contraindre les gens à accepter d’être mis en concurrence avec les travailleurs du tiers-monde, avec le nivellement par le bas des conditions de vie par l’aiguillon du chômage et de la précarité, au nom d’un enrichissement collectif chimérique basé sur l’enrichissement d’une classe d’exploiteurs internationaux, dont on finirait par obtenir les miettes de leur scandaleuse richesse.