mercredi, mai 03, 2006

L'Histoire selon les Libéraux


Suite à la nouvelle concernant les échos très inquiétants en provenance du Ministère de l'Éducation, à propos du projet d'enseignement de l'Histoire du Québec "revisé" et surtout expurgé de toute notion à caractère politique, j'allait en faire le sujet de mon texte. Au moment de me mettre à la tâche, j'ai reçu ce courriel de Rico, mon camarade de notre syndicat, maintenant sous un autre ciel avec sa copine Julie, en Outaouais. Il m'a tout simplement écrit ce que je n'aurais pas pu faire avec autant de brio. Impressionné, je lui ai demandé de reprendre son courriel pour mon blog. Voici ce qu'il m'a envoyé.


Salut Alain,

J'ai lu un article ce matin sur la volonté du gouvernement Charest de réviser les cours d'histoire et d'évacuer les éléments moins glorieux, ou moins unifiants... Julie et moi étions furax. J'ai par la suite écouté une entrevue avec Fournier (ministre de l'éducation), très habile celui-là, il nous glisse toujours entre les doigts. Il affirme que ce n'était pas l'intention du gouvernement, mais bien un papier de travail, dont il n'avait pas encore eu connaissance, donc, sur lequel il ne se prononcera pas sur la validité... Bref, il nous dit que ( bla!, bla!, bla! ) il y aura davantage d'heures de cours, plus de contenu, et que le conflit social ne sera pas évacué. J'ESPÈRE bien!

Non mais, je crois que c'est comme bien des projets libéraux. Il m'apparaît que parfois ces fuites sont presque intentionnelles. Comme s'ils voulaient tester l'opinion publique ; si ça grogne, on ne bouge pas et on dit que c'est faux, si ça ne gronde pas, s'est bon, on peut y aller.Pourtant, s'agissant de l'Histoire, et même pour les fédéralistes, celle-ci doit participer à notre quête de sens. Évacuer les aspects obscurs et tristes de l'Histoire relève du révisionnisme. À ce titre. les Allemands aimeraient peut-être aussi oublier l'Holocauste, les Russes vouloir oublier les purges, les étasuniens la ségrégation et la traite des noirs. Tout ça est d'ailleurs si négatif pour le patriotisme! Le pire, c'est que cette révision est invoquée précisément dans le but d'un cours d'initiation à la citoyenneté pour les jeunes, comme il s'en fait ailleurs au Canada... Oublier nous mène à reproduire les erreurs du passé, à oublier aussi ce que nous sommes, ce que nous avons été et ce que nous pourrions êtres. Car, ne l'oublions pas (petit jeu de mots) nous sommes une somme d'expérience, jumelée à une capacité de tirer des conséquences grâce à notre capacité faire usage de la Raison.

Après avoir été conquis, dominés, exploités, colonisés, néo- colonisés, il nous faudrait maintenant apprendre « l'Histoire-light », ou tout le monde il est beau, tout le monde est si gentil l'a toujours été et le sera pour toujours, tra-la-la!

Appliquer cette réforme des cours relève du non-sens, car les élèves ne percevront pas le lien qui unit le discours et la réalité, ils ne saisiront pas la société dans laquelle ils vivent. Du moins, pour ce qui est de la première génération formée à cette enseigne... Pour les autres, une fois le souvenir des contradictions disparut... Qui sait, mais veut-on vraiment le savoir? De toute manière, les problèmes de la fédération ne disparaîtront pas avec l'oubli de l'Histoire. À ce titre, les régions auront toujours des disparités et des revendications différentes les unes des autres, et entreront inlassablement en conflit. Si le conflit ne se polarise pas sur les langues et le choc des deux nations fondatrices (les indiens n'ont pas fondé le pays, mais ont plutôt étés marginalisés, ce n'est que très récemment que l'on s'intéresse à eux, et encore! ) alors il s'exprimera autrement: disparité de revenu, de classes, d'ethnie, des sexes, de religion... Une société sans conflit c'est l'utopie négative derrière le « Meilleur des mondes » de Aldous Huxley.

C'est l'horreur technocratique.Il m'apparaît que les fédéralistes auraient tout intérêt à amadouer l'histoire, d'en tirer les leçons et de se réconcilier avec, sans quoi le pays qu'ils tentent de forger eux aussi à grands coups de millions dans patrimoine Canada ne sera toujours qu'un construit identitaire très fragile, car sans assises historiques solides. Un peuple sans histoire n'en est pas un, tout simplement. L'identité du Canada, tout comme celle du Québec, est historiquement constituée, ne l'oublions pas.

Une histoire à la Disney, ça n'intéresse personne, et surtout, ça évacue de notre vie tout repère au sens. Pourquoi sommes-nous une collectivité? Qu'est-ce qui nous unit, en quoi sommes-nous semblables et différents? Vouloir trafiquer l'Histoire équivaut à se trahir et à se mentir, à se replier sur une fausse individualité. Réviser l'Histoire équivaut à un acte totalitaire et déshumanisant qui nous réduit à ce que nous avons dans notre éternel instant présent, à notre petite subjectivité molle, et qui est donc inintelligible et éphémère. La civilisation est indissociable de son histoire.

Je me souviens,

Rico

Je lui ai envoyé, avec ma demande de le publier, une indication supplémentaire. Dès 2003, il était de l'intention du PLQ, à la demande de son aile anglophone lors du conseil national, de mettre au diapason l'enseignement de l'Histoire du Canada et du Québec avec ce qu'il est enseigné dans le reste du Canada. Selon eux, il serait temps de reprendre l'enseignement de l'Histoire pour une vision commune, celle du Canada. Bien sûr, ça serait pas mal différent de l'enseignement actuel, qualifié de "séparatiste"... donc les Patriotes seraient revus comme des "traîtres" envers la Couronne, même chose pour Louis Riel et la révolte des Métis, on tairait toute notion sur la disparition du fait français au Manitoba et en Ontario, ça ne serait plus Jacques Cartier le premier à prendre possession du Canada au nom de son Roi, mais bien John Cabot (devenu bien britannique, donc pas un Italien...), aux oubliettes les luttes contre la conscription de 1917 et 1940, ou encore, tant qu'à faire, assimilons-les à de la collaboration fasciste, et j'en passe.

Une bien belle histoire.

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