lundi, juin 19, 2006

Business über Alles

Le ton se durcit à la Presse. La voix de son maître, Alain Dubuc, encouragée par son succès en librairie avec son Éloge de la richesse, a été plus loin que je pouvais l’imaginé chez ce columniste. Alors qu’il se défend bien d’être un néo-libéral, en condamnant dans son livre l’expérience vécue en Grande-Bretagne sous Margaret Thatcher, Dubuc écrit le contraire dans son éditorial du 10 juin. On découvre l’erreur de son éditeur, pourtant logé à la même enseigne (propriété de Gesca), lorsque le livre a été publié. Le titre aurait dû être Éloge des riches. Une erreur de l’éditeur, sans doute.

Le grand columniste a donc enfoncé le clou sur la gauche dans son ensemble, en la qualifiant de « racines de l’immobilisme ». C’est la grande mode chez les amis de la richesse et de ses créateurs de nommer ainsi ceux qui s’interrogent sur les projets de développement économique. « That’s progress » nous disent les créateurs, on n’a donc pas à être opposés, « ils » sont le progrès. La gauche, selon lui, obtient trop souvent l’attention des médias alors qu’elle n’a pas de représentation véritable dans la population. Les créateurs de richesse et ses partis politiques, de toute évidence, n’ont que des entrefilets dans les journaux, surtout dans les pages de la Presse…
Dubuc en rajoute avec son interrogation sur les bases de Québec Solidaire et les groupes sociaux. Pour lui, les « citoyens », la « démocratie » et le « projet » sous-entendus chez la gauche ne sont que des versions dépoussiérées des discours communistes d’Europe de l’Est. Lorsqu’il s’en prend au projet alternatif que le POPIR propose, en lieu et place du projet de condos de luxe dans le quartier Saint-Henri et la gentrification inévitable qu’il apporte à sa suite, c’est pour le dénigrer comme un projet de type soviétique, inhumain et voué à l’échec. L’opposition de la gauche serait pour lui du populisme, comme si la gauche représentée par Québec Solidaire a déjà formé le gouvernement dans le passé mais aurait oublié toute forme de pragmatisme. C’est faire un raccourci sur le type de campagne électorale dont nous a habitué le chef du Parti libéral, Jean Charest. D’ailleurs, il faudra s’attendre à entendre de la bouche de ce dernier les mot « immobilisme » et « immobiliste » à tous ses discours, lors du prochain scrutin. Que disait-on déjà, sur la voix de son maître?

Comme les autres meneurs de claques de la droite libérale, Dubuc fait abstraction de l’Histoire. La montée de l’industrialisation au XIXe siècle a amenée en parallèle celle de la revendication politique et sociale, au gré des bouleversements sans égards aux populations. Qualifier ainsi d’immobilisme la position de la gauche et des groupes sociaux, c’est nier la possibilité des dérapages des projets du milieu des affaires, comme si ce dernier ne pouvait errer ni créer une quelconque catastrophe sociale ou écologique. L’enlaidissement ou le saccage de nombreux milieux naturels, au nom du progrès, a été la plupart du temps la responsabilité de la classe des gens d’affaires. Il est d’ailleurs de bon ton de répliquer, par les portes-voix de cette classe, toutes les horreurs du développement économique effréné des régimes communistes d’autrefois. On peut toujours souligner à la suite que ces mêmes horreurs ont été possibles en l’absence d’une opposition organisée. Des militants qu’on aurait qualifié volontiers là-bas « d’immobilistes »…

Le paradigme auquel Dubuc s’est voué corps et âmes est celui de la fin de l’Histoire, tel décrit dans le livre du même nom, de Francis Fukuyama. Le grand journaliste qu’il est, avec ses ornières, tente de faire croire à la l’achèvement d’une civilisation supérieure consacrée aux affaires, en dépit de tout le reste. Rappelons que Fukuyama s’est fait rapidement démentir dans les années 90, avec la succession de conflits sanglants à travers le monde, notamment dans des secteurs en périphérie de l’Occident, tels l’Algérie et l’ex-Yougoslavie. La tentative mainte fois répétée de Dubuc de rappeler qu’il n’existerait qu’une voie unique à la création de la richesse, celle du néo-libéralisme, où les gens d’affaires sont les seuls tributaires, semble davantage à une forme de mantra. À force de le ressasser, espère-t-il, on finira bien à croire à ces prétentions. Comme si la richesse ne proviendrait des individus dont le seul souci est de s’enrichir au dépend des autres, tel Guy Laliberté, dont l’exploitation honteuse des artistes du cirque vaudrait bien un livre noir. Mieux encore, il faut rappeler comme l’a fait la collègue de Dubuc, Lysianne Gagnon, dans son étonnant éditorial du 3 juin, que ces individus ont avant tout profité des subventions publiques pour créer leur richesse. Sans consommateur, les créateurs ne sont rien, surtout quand ces consommateurs sont aussi les employés et les citoyens dont ont souhaite à la Presse l’assujettissement aux projets pharaoniques des mégalomanes de tout acabit. La richesse ne se calcule pas uniquement en dollar, il se calcule surtout par le bien être de chacun. Si un promoteur décide de construire une série de blocs de condos dans un secteur majoritairement habité par des locataires, ces derniers verront inévitablement leur loyer augmenter. Dans un contexte où les revenus des moins riches stagnent depuis plus de dix ans, on voit difficilement quel avantage ces gens vont obtenir de l’investissement de ce promoteur.

En somme, la charge de Dubuc contre la gauche est représentative de sa crainte d’une possible représentation de Québec Solidaire à l’Assemblée nationale. La représentation politique des militants sociaux, revendiquant un Québec autrement soumis à la volonté du milieu des affaires, voilà la bête noire des Desmarais et consort. La présence de la gauche sur la scène parlementaire est la dernière chose dont les maîtres de l’économie veulent voir. Ça expliquerait pourquoi la Presse s’emploie à démolir la montée de Québec Solidaire, même si ses rédacteurs raillent sur ses propositions et ses « incapacités » de pouvoir obtenir plus de dix pour cent de l’électorat.

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