jeudi, novembre 01, 2007

Sur René Lévesque.

Le 1er novembre 1987 nous quittait l’ancien premier ministre René Lévesque, emporté subitement par un infarctus, si je me rappelle bien. J’étais à ma première année de CEGEP, à Lévis-Lauzon. J’avais 17 ans. La nouvelle avait tombé durant le Téléjournal, le soir. Lévesque n’a pas survécu à l’attaque. Le Québec venait de perdre un grand homme, un géant, malgré sa petite taille physique.

Malgré que je ne suis pas du genre à conserver uniquement une image idyllique des gens, surtout de ceux que j’admire, en reconnaissant volontiers leurs défauts et leurs faiblesses, il m’est encore difficile de ne pas voir René Lévesque comme un mortel ordinaire. J’étais de ceux qui trouvaient la statue grandeur nature qu’on lui avait érigé, sur le terrain de l’Assemblée nationale, placée sans socle, ne rendait pas justice à l’homme. Elle est maintenant à New-Carlisle, son village natal, remplacée à Québec par une statue plus imposante. Mais comme on le soulignait encore cette semaine, c’est bien la dernière chose que Lévesque se serait soucié de son vivant. L’humilité de l’homme lui allait comme une seconde nature.
À ses funérailles, on avait diffusé les images du reportage en direct sur les moniteurs du CEGEP. Il fallait entendre les nombreuses fois que la population, entourant la basilique à Québec, entonner « Mon cher René, c’est à ton tour… », retentir dans le bâtiment. J’ai manqué une heure de mon cours, pour regarder la célébration. Mon père, sergent de la SQ à cette époque, était des agents posté à l’entrée de l’église pleine à craquer. Il m’a raconté les scènes déchirantes, des anciens ministres pleurer à chaudes larmes, des adversaires sincèrement émus, de simples admirateurs anéantis par cette perte si soudaine. C’est peut-être ce vide qu’il a laissé, une cause qui n’a pas encore abouti, qui a amené sa stature à avoir autant d’importance, pour autant parler de lui après vingt ans.



On l’a beaucoup évoqué la mémoire de l’ancien premier ministre, ces derniers temps. Certains à l’ADQ ont prétendu, dans la foulée de l’ancien maire de Lévis Jean Garon, que Lévesque se serait reconnu dans ce parti. Une belle niaiserie qu’il a dit, mon ancien maire! Plusieurs libéraux l’ont également évoqué, de même que quelques intervenants à la commission Bouchard-Taylor, pour dénoncer le projet de citoyenneté du Parti québécois. Encore une fois, on a cherché à brandir la vertu que représente encore le souvenir de Lévesque, afin de se l’approprier. Comme par automatisme, sa mémoire semble être à l’origine de tout ce qui s’est fait de bien, même ses adversaires d’autrefois n’hésitent pas à franchir la ligne. Jean Chrétien lui-même, lorsque son gouvernement a imposé la limite aux contributions financières des particuliers aux partis politiques lors des campagnes électorales, a admis s’être inspiré de la loi adoptée au Québec sous le gouvernement de René Lévesque. Ce gouvernement dont Chrétien a fait contre lui bon nombre de basses manœuvres, du temps où il était ministre sous P.E. Trudeau, à Ottawa.

Pourtant, de son vivant, Lévesque n’a pas toujours suscité l’admiration. À commencer par ses adversaires politiques, dont Trudeau lui-même, qui n’a pourtant pas hésité à aller à ses funérailles. J’ai lu, il n’y a pas si longtemps, dans la biographie de Trudeau écrite par les auteurs Clark et Stephenson, une description peu flatteuse de Lévesque, perçu comme un alcoolique à l’esprit brouillon, préférant les parties de poker aux discussions de haute voltige intellectuelle. Parmi les fédéralistes suivant la pensée de Trudeau, bon nombre d’entre eux, pas seulement des anglophones, n’ont jamais eu une once d’appréciation de Lévesque. Je ne peux les blâmer, les Trudeau, Jean Marchand, Gérard Pelletier ne suscitent guère de sympathie chez moi, même décédés. Pourtant, je ne m’abaisserai jamais comme l’ont fait Max et Nicole Nemni, dont la revue Cité Libre, la création des trois individus cités plus haut, s’employait à qualifier René Lévesque de raciste et de fasciste, tout comme le Parti québécois et l’idée de la souveraineté. Je passe sur bien d’autres qui ont craché sans discerner sur l’homme et sur son travail, pour tous les prétextes. Je retiens surtout que ces individus ont en commun d’en vouloir à Lévesque, parce qu’il représente, même après sa mort, l’accomplissement de la Révolution Tranquille. Ses pires détracteurs, ont les retrouvent dans le camp des néolibéraux près de l’IEDM, pour le développement de l’appareil d’État québécois, de même que les nostalgique de la Grande Noirceur, ceux dont l’émancipation de la nation québécoise leur semble un péché contre-nature.

De mon côté, j’ai eu la chance de connaître l’époque où Lévesque a été premier ministre, jusqu’en 1984. Mes parents l’ont aimé et l’ont apprécié, il en parlaient surtout en bien, malgré les déboires de la fin du deuxième mandat. Je n’ai pas de souvenir précis de l’élection de 1976, mais beaucoup du référendum de 1980 et de la réélection du PQ en 1981. Comme plusieurs, je demeure nostalgique, devant les images de Lévesque prononçant ses discours célèbres, cette émotion qui a réussi à transmettre à tant de gens désireux d’aller de l’avant, selon ce qu’ils sont, des Québécoises et des Québécois. Une fierté aussi, durant ces moments d’une grande intensité. On pouvait facilement se reconnaître, l’homme n’avait tellement rien du héros et tout de l’homme ordinaire, mais celui là, il nous avait amené loin en avant.

Quand on y pense, il nous a quitté prématurément. Aujourd’hui, René Lévesque aurait eu 85 ans. Certain s’imagine quels auraient été ses prises de positions, si jamais il avait voulu faire valoir son point de vue. Si on peut imaginer quelque chose il faut savoir que l’homme était avant tout un libéral, selon la définition anglo-saxonne du concept, quelqu’un aux allégeances plutôt libérale au plan économique, sans pour autant nier l’importance du rôle de l’État. Pour la référence, il aurait bien paru comme un démocrate, aux États-Unis. De son temps, la nationalisation de l’électricité et le développement des services sociaux allaient de soi. Je crois qu’il défendrait la prépondérance de l’État dans ces secteurs, pour répondre à son ex-collègue Claude Castonguay, qui s’est vendu aux compagnies d’assurances, pour nous concocter un système de santé à deux vitesses. Remarquez, c’est à nous de défendre ces acquis, dont bien des pays nous envient, après qu’ils aient eux-même bradé leurs systèmes sociaux aux sacro-saintes lois du marché, pour le bonheur de quelques-uns seulement…

Il est bon de relire une autobiographie comme « Attendez que je me rappelle… », paru en 1986. Lévesque nous en apprend beaucoup, avec une qualité d’écriture qu’il a conservé de ses années de journalisme. Il faut le relire, pour se rappeler ces combats contre les chantres de la Grande noirceur, ceux qui relèvent la tête aujourd’hui, pour nous ramener à une époque révolue, le catholicisme en moins mais l’égoïsme en plus. Avec autant de performance de politicailleurs pitoyables, je ne peut que penser à ces paroles des Cowboys Fringants :

Lettre à Lévesque
Ta cigarette au bec
Du haut du firmament
Tu dois r'garder l'Québec
Pis t'dire que c'est ben décevant

Quand tu vois les pas bons
Et tous les p'tits carriéristes
Qui s'présentent aux élections
Comme des vrais opportunistes

Mais loin de moi, René
L'envie d'en beurrer épais
Ou de trop te glorifier
Le monde l'a déjà assez fait

Mais c'est quand même un peu dommage
De voir que de ton héritage
Il reste juste ma p'tite chanson
Pis un boulvard à ton nom

Quand je r'garde ma contrée
Perdue et à l'abandon
Sans projet d'société
Et m'née par des pauvres pions
Champions de la langue de bois
Et du politicaly correct
'Me semble que c'pas ça
Qu'tu voulais pour le Québec

À part de ça mon Ti-Poil
La vie es tu moins plate au ciel ?
Parce qu'ici les temps sont un p'tit peu sombres
J'te dis ça d'même mais r'vire toi pas dans ta tombe

Toi qui étais au coeur
De cette grande révolution
Qui a mis l'Québec à l'heure
De toutes les modernisations

Tu dois être franchement déçu
De voir qu'on retourne en arrière
Vous qui vous étiez battus
Pour qu'on soit maîtres de nos affaires

Pour c'qui est d'la souveraineté
On peut pas dire que c'est la fièvre
Le projet s'est mal renouvelé
Et on en parle du bout des lèvres

Mais quoique qu'à voir les extrémistes
Qui se réclament Patriotes
Avec leur discours passéiste
J'me dis qu'on est loin du jack-pot

Si on r'garde ça René
Les enjeux ont bien changé
Et les jeunes se conscientisent
Faudrait écouter ce qu'ils disent
Et que pour bâtir un pays
Faudrait pas oublier d'inclure
Les citoyens des autres ethnies
Et leur culture

À part de ça mon Ti-Poil
La vie es tu moins plate au ciel ?
Parce qu'ici les temps sont un p'tit peu sombres
J'te dis ça d'même mais r'vire toi pas dans ta tombe

Pour moi l'projet idéal
S'rait d'garder les droits acquis
Et les bases fondamentales
De la sociale-démocratie

Tout en restant vigilants
Face aux courants mondialistes
Mais bien sûr sans pour autant
Devenir anti-capitalistes

Moi j'verrais un pays
Qui ferait un compromis
Entre les mots écologie
Justice et économie

Parce que bien avant ma Patrie
Et toutes les politicailleries
J'prône les causes humanitaires
Et j'suis amoureux de la terre

Alors j'sais pas c'que t'en penses
Mais pour moi ça a ben du sens
De faire quecqu'chose de rassembleur
Qui f'rait d'nous des innovateurs
Une société plus équitable
Où l'développement serait durable
Et là c'est sûr que j'cocherais " oui "
Pour un pays...

Facque d'ici-là j'prends c'qui m'reste
De ma fierté de Québecois
Et j'te dis, René: " à la prochaine fois ! "
Et j'nous dis: " à la prochaine fois ! "


Aucun commentaire: